Marie
autre moment, elle en aurait
ri. Par chance, la couverture qui lui serrait la taille avait amorti le choc et
le chemin était désert.
Elle se
remit debout en maugréant. Le balluchon avait roulé sous elle, les galettes
s’étaient brisées et éparpillées sur le sol. Elle en ramassa quelques morceaux
qui ne paraissaient pas souillés avant de s’écarter de la maison pour rejoindre
le sentier conduisant au village.
Tout
n’était qu’ombres et bruits étranges. Comme s’ils étaient vivants, les choses,
les arbres, les pierres du chemin changeaient subtilement de contour tandis
qu’elle avançait. Ruth savait que c’était là l’effet de la lune, mais elle
n’était plus accoutumée aux illusions de la nuit. Les années ne se comptaient
plus depuis la dernière fois qu’elle avait marché ainsi, à l’heure où les
démons se jouent de vous.
Elle
murmura le nom du Tout-Puissant, réclama Son pardon et Le supplia une fois
encore de retenir la fille de Nazareth sur la tombe du am-ha-aretz.
Elle y
était.
Ruth ne
l’aperçut pas d’emblée. Elle se confondait avec les arbustes espacés entre de
mauvaises tombes privées d’une pierre ou d’un quelconque signe indiquant le nom
du mort qu’elles abritaient. Puis Miryem eut un léger balancement. La lune
éclaira sa tunique déchirée sous sa chevelure défaite et lourde de terre.
Ruth
laissa son souffle s’apaiser avant de s’approcher. Son cœur battait si fort
qu’elle crut que Miryem allait l’entendre.
Mais la
fille de Nazareth ne parut pas se rendre compte d’une présence à côté d’elle.
Ruth retint son désir de la prendre dans ses bras.
— C’est
moi, Ruth, murmura-t-elle seulement.
— Si
tu viens me demander de rentrer, tu ferais mieux de retourner te coucher.
Les mots
de Miryem étaient si tranchants que Ruth recula d’un pas.
— Je
croyais que tu ne m’avais pas entendue, chuchota-t-elle.
— Si
tu es venue faire le deuil d’Abdias avec moi, tu es la bienvenue. Sinon, tu
peux repartir, répéta Miryem tout aussi durement.
Ruth
dénoua la couverture de ses reins, la déposa sur le sol, se défit de la gourde
de lait et s’accroupit.
— Non,
je ne suis pas venue pour te faire rentrer. Je le voudrais que ce serait
impossible. La porte est close pour la nuit. Moi aussi, je dois attendre
demain. Si jamais ils me laissent revenir.
Elle
attendit que Miryem réagisse, mais comme pas un mot ne franchissait ses lèvres,
elle ajouta :
— J’ai
apporté du lait et une couverture. L’aube sera fraîche. J’avais aussi des
galettes, mais je suis tombée et elles se sont brisées.
A présent,
elle en souriait. Mais Miryem, sans tourner la tête, déclara :
— Je
fais le jeûne. Je n’ai pas besoin de ta nourriture.
— Boire
du lait n’est pas interdit pendant le deuil. La couverture non plus. Et, dans
ton état, jeûner est stupide.
De
nouveau, Miryem ne répliqua pas. Le silence, autour d’elles, était parcouru de
jacassements, de frottements, des frôlements de la brise et des stridulations
des insectes. Ruth s’assit sur le sol, essaya de trouver une position à peu
près confortable.
Elle avait
peur. C’était plus fort qu’elle. Sentir toutes ces tombes autour d’elle, ces
morts qui n’avaient pas été bénis par les rabbis, la terrifiait. Elle osait à
peine tourner la tête, de crainte de voir surgir un monstre. Cette seule pensée
lui donnait la chair de poule. Il fallait être cette fille de Nazareth pour ne
pas trembler de peur au cœur de ce silence plein de bruits.
— Je
ne sais pas si je suis venue faire le deuil avec toi, soupira-t-elle. Je n’aime
pas ça, faire le deuil. Mais je ne pouvais pas te laisser toute seule dehors.
Elle
espérait que Miryem allait lui demander pourquoi, mais aucune question ne vint.
Pour que le silence ne dure pas, elle dit, presque machinalement :
— Bois
un peu de lait, au moins. Cela te donnera la force d’attendre le matin. Et
aussi de lutter contre le froid…
Elle
n’acheva pas sa phrase. Maintenant qu’elle avait entendu la voix nette et dure
de Miryem, ses conseils lui paraissaient inutiles et même légèrement ridicules.
La fille de Nazareth savait ce qu’elle voulait et faisait. Elle n’avait pas
besoin de sermon.
Ruth serra
les dents et les poings, guettant les bruits au cœur du silence. Cela dura
longtemps. Ni l’une ni l’autre ne bougeaient, les muscles des cuisses et des
reins gagnés par l’engourdissement. Il
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