Marie
dans l’ombre de plus en plus épaisse de
la nuit qui montait, Ruth craignait-elle d’avoir failli.
— Elle
va passer la nuit dehors, murmura-t-elle, les poings serrés sur la poitrine.
Celles qui
l’entouraient haussèrent les épaules. Sans oser le dire à haute voix, elles
songeaient que cela pourrait faire du bien à la nouvelle venue, la calmer. Une
nuit à la belle étoile n’avait jamais tué personne. Fréquemment, ceux qui accompagnaient
les malades dormaient aux alentours de la maison. Certains possédaient des
tapis, des couvertures qu’ils tendaient sur des piquets en guise de toit.
D’autres se contentaient du pied d’un arbre ou de l’abri d’un muret contre le
vent. La fille de Nazareth pourrait en faire autant. Même s’il était triste de
la voir se mettre dans un état de deuil aussi excessif pour un gosse
am-ha-aretz.
Néanmoins
Ruth savait que rien n’était simple avec cette Miryem. Les autres servantes
n’avaient pas vu de près ses yeux, sa colère. Elles n’avaient pas reçu ses mots
de révolte contre leur poitrine. Des mots qui frappaient et blessaient plus que
des coups.
Il
suffisait de la regarder, là-bas, sur la tombe, petite silhouette prostrée,
pour deviner que, dans la nuit, elle ne se protégerait de rien, ni du froid ni
des chiens qui rôdaient dans l’obscurité en quête de charogne. Pas même des
hommes malfaisants à la recherche d’une proie.
Et
peut-être même serait-elle assez insensée pour vouloir prendre la route de la
Galilée à l’unique lumière de la lune. Au risque de se perdre plus qu’elle ne
l’était déjà, le ventre à moitié vide, la cervelle en feu.
*
* *
Ruth ne
révéla rien de ces pensées. Mais sa décision était prise. Elle ne pouvait agir
avant que le repas des femmes ne soit achevé et que chacune rejoigne sa
chambrette.
Elle
endura cette attente avec impatience, touchant à peine à sa propre écuelle.
Elle pria en silence, sans remuer les lèvres, mais du fond du cœur réclamant la
mansuétude du Tout-Puissant, Sa compréhension, Sa bénédiction. Que Miryem ne
s’éloigne pas du cimetière !
Elle
feignit de rejoindre sa couche comme ses compagnes. Là, en vitesse, elle noua
sa couverture autour de ses reins. Sans un bruit, dans la dense obscurité des
couloirs, elle retourna à la cuisine. Plus tôt, elle avait discrètement préparé
un balluchon contenant quelques galettes et une gourde de lait de chèvre. Elle
connaissait si bien l’endroit qu’elle ne perdit pas trop de temps à le
retrouver.
Frôlant
les murs du bout des doigts, elle entra dans le grand cellier derrière la
cuisine. Une trappe y était aménagée, qui permettait de décharger de
l’extérieur le grain dans un grand bac. Cela évitait quantité de va-et-vient
dans la cour et préservait la tranquillité de la maison.
Butant
de-ci, de-là, elle finit par trouver la murette ceinturant le bac. Elle la
franchit maladroitement, piétina les grains qui se mirent aussitôt à couler
sous ses pieds, près de l’ensevelir. Affolée, désorientée, elle chercha la
trappe un moment. Ses doigts heurtèrent enfin le bois du volet et le métal de
la serrure, qui ne s’actionnait que de l’intérieur.
Elle
soupira de soulagement, tâtonna encore pour déverrouiller le mécanisme
d’ouverture qui n’avait pas été actionné depuis des mois. Il lui sembla
provoquer un vacarme propre à réveiller tout le quartier des femmes.
Les gonds
grincèrent enfin. Le cœur battant à tout rompre, Ruth inspira une grande
bouffée d’air. Elle songea qu’elle était folle. Qu’allait-il lui arriver quand
on découvrirait ce qu’elle avait fait ? Car on le découvrirait. Rien, dans
cette maison, ne demeurait secret. Et jamais, de toutes les années qu’elle y
avait vécues, elle ne s’était livrée à pareille désobéissance.
Terrifiée
par son audace, elle glissa le buste dans la lucarne, juste assez grande pour
elle. Après l’obscurité absolue, la clarté de la demi-lune lui parut diffuser
une lumière à peine réelle, mais si violente qu’elle distinguait les plus menus
détails alentour.
La trappe
s’avéra être plus loin du sol que Ruth ne l’aurait cru. Avec l’âge, elle avait
perdu sa souplesse et son agilité. Serrant les mâchoires, le souffle court,
elle agrippa le rebord du mur et bascula en avant. La trappe retomba
brutalement et elle s’affala avec un petit cri.
Elle était
tombée dans une position si grotesque que, à un
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