Marie
semblait que, de temps à autre, les
lèvres de Miryem bougeaient, comme si elle murmurait une prière. Ou des
paroles. A moins que ce ne fût qu’un effet de la lumière de la lune à travers
les feuillages du grand acacia qui les surplombait.
Soudain,
Ruth saisit les coins de la couverture, la déploya et l’étendit sur les jambes
de Miryem comme sur les siennes. Miryem ne protesta pas et ne la retira pas.
Cela décida Ruth à parler.
— Je
suis venue parce qu’il le fallait. A cause de maître Joseph. Pour te confier
quelque chose. Tu dis que le maître est injuste, mais ce n’est pas vrai.
Le front
baissé, elle considéra ses mains posées bien à plat sur la laine rêche qui
couvrait ses jambes. De part et d’autre de son visage, sous les éclats
intermittents de la lune, ses cheveux blancs brillaient comme de l’argent.
— J’ai
eu un époux. Il travaillait le cuir. Avec une seule peau de chèvre il était
capable de fabriquer une outre de deux boisseaux si parfaite qu’elle ne
laissait pas transpirer une goutte d’eau au soleil de l’été. C’était un homme
simple et doux. Son nom était Josué. Ma mère l’avait choisi pour moi sans que
je le connaisse. J’avais juste l’âge des épousailles. Quatorze ans, peut-être
quinze. Quand j’ai vu Josué pour la première fois, j’ai su que je pouvais
l’aimer comme on doit aimer son époux. Durant dix-huit années nous avons été
heureux et malheureux. Nous avons eu trois filles. Deux sont mortes avant les
quatre mois de vie. L’autre est devenue grande et belle. Elle est morte aussi.
C’est depuis ces jours-là que je n’aime pas faire le deuil. Mais il me restait
mon Josué et je pensais qu’on aurait un autre enfant. On avait l’âge et on
savait faire.
Elle eut
envie de rire de sa propre plaisanterie. Le rire ne vint pas. À peine un
sourire.
— Un
jour, Josué a décidé qu’il aimait l’Éternel plus que moi. Cela le prit comme un
vent qui se lève et massacre un champ d’orge. Il est venu vivre dans cette
maison. Les frères ont été longs à l’accepter. Ils n’acceptent pas facilement
des nouveaux. Ils se méfient. Ils craignent qu’ils n’aient pas la force de
devenir assez purs… Mais moi, j’ai été encore plus longue à vouloir le perdre.
Chaque jour, je m’installais devant la porte de la maison. Je ne pouvais pas
croire qu’il resterait, qu’il ne changerait pas d’avis. Le Tout-Puissant
m’avait pris mes filles. Il ne pouvait pas me prendre mon Josué aussi. Quelle
était ma faute ? Où était Sa justice ?
La voix de
Ruth était à peine audible. Elle ne le voulait pas, mais les larmes perlaient à
ses paupières. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas tiré cette histoire
de son cœur.
— Il
ne m’est jamais revenu.
A travers
l’épaisseur de la couverture, elle se frappa la cuisse de la paume de la main
et respira fort pour repousser la boule dans sa gorge.
— Celui
qui est venu vers moi, un jour, c’est maître Joseph. J’étais dans l’ombre du
grand figuier à gauche de la maison. Je regardais la porte mais, à force de la
regarder, je ne la voyais plus. Quand il s’est adressé à moi, j’ai eu aussi
peur que si un scorpion me piquait les fesses.
Elle
sourit à nouveau. C’était un peu exagéré, mais assez vrai, et d’y penser ainsi
lui permettait de se sécher les yeux. Cela dut plaire à la fille de Nazareth,
car elle demanda, de sa voix sèche :
— Que
t’a-t-il dit ?
— Que
mon Josué ne me reviendrait jamais car il avait choisi la voie des esséniens.
Que cette voie lui interdisait de fréquenter son épouse comme avant. Que
l’Eternel me pardonnerait si je voulais bien me considérer comme une femme sans
époux. Que j’étais encore jeune et belle. Il me serait facile de trouver un
homme bienheureux de m’aimer.
Comme il
était étrange de prononcer de telles phrases aujourd’hui !
— J’aurais
eu une pierre assez grosse sous la main, je lui aurais fracassé le crâne.
Changer d’époux, et sans que ce soit une faute ! Il faut bien être un
homme, sage ou pas, que le Tout-Puissant me pardonne ! pour avoir des
idées pareilles. Une lune plus tard, j’étais toujours devant la maison. On
entrait dans l’hiver. Il pleuvait et pleuvait. Les gens du village me donnaient
de quoi manger, mais contre la pluie et le froid, ils ne pouvaient rien. Maître
Joseph est venu une nouvelle fois devant moi. Cette fois, il m’a dit :
« Tu vas
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