Marie
mourir de froid à rester ici. Josué ne te reviendra pas. »
J’ai répondu : « Alors, c’est moi qui reviendrai ici, chaque jour. Si
l’Éternel veut que j’en meure, j’en mourrai, et tant mieux. » Il n’était
pas content. Il est resté là un long moment sous la pluie à côté de moi, sans
prononcer une parole. Puis d’un coup il m’a annoncé : « Tu peux
entrer et considérer notre maison comme la tienne. Mais tu devras respecter nos
règles et elles pourraient ne pas te plaire. Il te faudra devenir notre
servante. » Ce n’était pas le pire ! J’en avais le souffle coupé.
Maître Joseph a ajouté : « Au gré de tes travaux, tu verras ton époux
aller et venir, mais lui, il ne te verra pas. Ce sera comme si tu n’étais pas
là. Et tu ne pourras ni lui parler ni faire quoi que ce soit pour qu’il te
revienne. Cela pourrait devenir pour toi une douleur plus grande que celle que
tu portes aujourd’hui. » Je me suis dit tant pis. J’étais prête à tout
pour être sous le même toit que Josué. Mais le maître a insisté :
« Si la douleur est trop grande, tu devras partir. Ni Dieu ni moi ne te
voulons du mal. » Il avait raison. C’était terrible de voir mon époux et
de n’être qu’une ombre. Une plaie que tu retailles chaque jour. Pourtant je
suis restée.
Elle se
tut, le temps que s’apaise le feu qui brûlait encore sa poitrine.
— C’était
il y a longtemps. Vingt années peut-être. J’ai eu mal et mal. J’ai supplié le
Tout-Puissant de me laisser mourir. Parfois, la douleur était si grande que je
ne pouvais plus bouger. Le maître venait me voir. Le plus souvent, il ne
parlait pas. Il me prenait la main et s’asseyait un moment près de moi. Ce qui
est contraire à la règle. Mais Gueouél n’était pas encore là. Et un jour il m’a
dit : « Ton Josué est mort. Son corps est poussière, mais tous nos
corps seront poussière. Son âme est éternelle. Elle vit près de Yhwh et je sais
qu’elle vit près de toi. Ta maison est ici. Tu y vivras aussi longtemps que tu
le souhaites, comme une sœur vit dans la maison de son frère. » Je n’ai
pas pleuré. Je ne pouvais pas. Mais j’ai su que mon amour pour Josué était
toujours aussi fort. Un jour, beaucoup plus tard, maître Joseph m’a dit :
« La bonté et l’amour que l’on a dans le cœur n’ont pas toujours besoin de
voir un visage pour exister et même pour recevoir à leur tour de l’amour. Vous,
les femmes, vous avez le cœur plus ample et plus simple que le nôtre. Il vous
faut faire moins d’efforts pour vouloir le bien de ceux que vous aimez. Vous
êtes grandes pour cela et, bien que vous soyez nos servantes, je vous envie.
Aussi longtemps que tu vivras, ton Josué sera avec toi. »
L’expression
de Miryem changea, mais Ruth ne sut pas ce qu’elle devait en penser. Elle
pouvait y lire la colère, la tristesse et même une sorte de dégoût. Ou c’était
l’effet de lune.
Ruth
éprouva le besoin d’ajouter :
— C’est
après que j’ai compris le sens des mots de maître Joseph. Sur le moment, ce qui
comptait, c’est qu’il m’ait dit : « Ton Josué ».
Elle se
tut. Miryem avait tourné son visage vers elle, mais se taisait toujours. Sous
ce regard, Ruth se sentit bizarrement embarrassée. Ce qu’il se passait dans la
cervelle de cette fille, on ne parvenait jamais à le deviner ni même à le
comprendre.
— Je
te raconte mon histoire pour que tu cesses de te fâcher contre le maître. C’est
le meilleur homme que la terre ait porté. Ce qu’il accomplit, en paroles comme
en actes, nous fait du bien. Ce n’est pas sa faute si cette tombe n’est pas
dans le cimetière. Il est le maître, mais il n’est pas seul à décider. Il peut
faire beaucoup, mais pas des miracles. Moi aussi, j’ai voulu qu’il fasse un
miracle pour mon Josué. Mais c’est le Tout-Puissant qui fait les miracles.
C’est ainsi. Ce qui est sûr, c’est que le maître sait ce que nous ressentons,
nous, les femmes. Il ne nous méprise pas. Et il t’aime beaucoup. Il ne peut pas
le dire et le montrer dans la maison. À cause de la règle. Mais il te veut du
bien. Et même, il attend quelque chose de toi.
Ruth fut
surprise par ses propres mots. Il n’était pas dans ses habitudes de parler
ainsi. Simplement, cette nuit, cela lui venait. Et elle avait besoin de les
dire. Pas seulement pour rétablir la justice envers maître Joseph.
Elle fut
stupéfiée par la question de
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