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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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tu me prouves que tu sais te conduire en véritable marin de la République.  
    L’été fut calme. Préoccupés par les entreprises de Bonaparte en Méditerranée, les Anglais avaient considérablement allégé leur dispositif de surveillance sur la côte atlantique.  
    Vers la fin de Thermidor, le Mathurin-Mary croisa au large de Rochefort un trois-mâts français aux lignes fines et gracieuses.  
    — Il ressemble à un sloop de guerre anglais, mais il est presque aussi gros qu’une frégate, dit Verdier qui venait relever Hazembat à la barre.  
    — C’est une corvette… Cap sud-ouest un quart ouest et fais attention : avec cette mer, ça embarde par tribord.  
    Il s’approcha du bastingage pour regarder la corvette. Toute sa toile dehors, elle n’avait pas l’ampleur pyramidale des navires de premier rang, mais elle donnait une impression de légèreté vivante, comme si un vol de grands oiseaux blancs emportait la mince coque au ras des flots.  
    Une idée soudaine le frappa. Bottereaux venait de prendre son quart et regardait lui aussi la corvette. Hazembat s’approcha de lui et porta son poing au front.  
    — Avec votre permission, lieutenant, puis-je vous poser une question ?  
    — Oui, parle.  
    — Quel est le nom de cette corvette ?  
    — C’est la Bayonnaise, pourquoi ?  
    — J’ai un camarade qui est charpentier dessus. Bottereaux jeta un coup d’œil à la corvette.  
    — Il a de la chance. Avec des lignes comme celles-là, ce doit être une fameuse marcheuse ! A sa barre, un timonier comme toi damerait le pion à n’importe quel Goddam.  
    C’était la première fois qu’Hazembat s’entendait ainsi faire compliment de ses qualités professionnelles. La chose l’emplissait de confusion. Il ne s’était jamais considéré comme plus maladroit qu’un autre et il faisait de son mieux pour s’acquitter de sa tâche, mais, à ses yeux, le timonier n’était rien qu’une paire de bras au service de l’officier de quart à qui revenait toute la responsabilité et tout le mérite de la navigation. Il était choqué d’entendre Bottereaux franchir allègrement par sa remarque l’immense abîme qui séparait un enseigne d’un simple matelot. Ne sachant comment se comporter, il baissa la tête, se dandinant vaguement au rythme du roulis.  
    L’officier nantais le regardait d’un air légèrement narquois.  
    — Tu ne vas pas me dire, Hazembat, que tu n’es pas conscient de tes mérites ? Tu es franc du col, tu es fort comme un taureau, tu sais lire et écrire et tu tiens la barre comme on fait l’amour à une femme qu’on aime. Si c’est parce que tu n’es que simple matelot, sais-tu que j’ai un an de moins que toi et Le Guillou à peine un de plus ? Il s’en faudrait de peu pour que tu sois à ma place : juste que ton père soit armateur comme le mien au lieu d’être batelier comme le tien… ce qui prouve que l’égalité de notre République n’est pas encore tout à fait assez égale, tu ne trouves pas ?  
    — Non… si, lieutenant.  
    Il savait maintenant qui lui rappelait Bottereaux. C’était le même ton mi-léger, mi-sérieux, la même aisance moqueuse que ceux de Claude O’Quin, alias le citoyen Coquin pour les bons sans-culotte. Les O’Quin étaient des négociants et des ar mateurs eux aussi, venus naguère d’Irlande à Bordeaux pour y installer un comptoir dans le quartier des Chartrons. On disait qu’entre armateurs bordelais et nantais c’était tantôt comme cul et chemise, tantôt comme chien et loup.  
    — Si tu étais dans l’armée, poursuivait Bottereaux, la guerre aurait déjà fait de toi un officier, mais la République ne croit pas à sa Marine. Il n’empêche que, si tu trouves un meilleur embarquement que ce rafiot, je te conseille de sauter sur l’occasion. Tu es ambitieux ?  
    — Euh… non, lieutenant.  
    — Moi si. Puisqu’on ne me laisse pas faire du négoce comme mon père, j’ai bien l’intention de devenir amiral.  
    Il laissa de nouveau errer son regard vers la Bayonnaise dont les voiles blanches commençaient à s’éloigner vers l’horizon. Quand il se retourna, son visage avait repris l’impassibilité qui convient à un officier de marine.  
    — Ce sera tout, Hazembat, dit-il d’un ton neutre, puis il lui tourna le dos et s’approcha de Verdier.  
    — Timonier, à rencontrer d’un quart ! Cousseau ! à porter près et plein ! Ce navire embarde comme une

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