Marin de Gascogne
des cloisons mobiles délimitaient un recoin entre les canons. Des planches suspendues aux poutres par des filins permettaient, luxe inouï, d’avoir table mise à chacune pour huit personnes. Pour le moment, ils étaient seuls.
Les nouvelles de Papounet n’étaient pas très fraîches, mais il avait été là-bas, il avait parlé aux gens et portait sur lui les odeurs de la vie. Ayant vidé de nombreux pots avec Guitoun Paynaud à l’auberge de Mingehort, il était au courant des potins du port et de la ville. Guitoun était toujours homme à tout faire chez Perrot Rapin.
Perrot s’était réconcilié avec sa belle-sœur, Rapinette. La Maison du Port était passée à la famille de celle-ci, les Castets, mais les Rapin continuaient à y vivre et les parents d’Hazembat aussi.
— Comment vont-ils ?
— L’été dernier, ils étaient hardis. On ne les voit pas vieillir. Mais la maison se vide. Des fils Rapin, il ne reste que Cametorte qui fait les écritures. Pishehaut a été enrôlé dans la Marine en même temps que Capsus, le fils de Capulet Dubernet. Quant à ton ami Lanusquet, le fils de Meste Dumeau, l’entrepreneur de transports, il s’est engagé comme forgeron aux chantiers de Bacalan.
— Jantet est revenu ?
— Oui, mais il est déjà de retour sur la Bayonnaise. Papounet se lissa la moustache d’un air entendu.
— Tu ne me demandes pas des nouvelles des filles Dubernet ?
— Pouriquète m’a écrit.
— Je m’en doute. Elle ne t’a pas dit que sa sœur Castagne s’était fiancée avec son Castagnot ? Maintenant, c’est monsieur l’aspirant Louis Castaing.
Les verres remplis, ils trinquèrent, puis Papounet se pencha vers Hazembat d’un air mystérieux.
— Guitoun m’a dit que tu étais bon républicain.
— Bien sûr, tout comme lui.
— Et comme moi !
Il y eut un long silence pendant lequel Papounet continua à se lisser la moustache.
— Il y a républicain et républicain, dit-il enfin d’un air sagace.
— Si tu veux parler des gens comme Gavache qui ne pensaient qu’à couper des têtes, ce n’est pas mon fort, répondit prudemment Hazembat.
— Ce n’est pas le mien non plus, mais tu ne souhaites pas voir revenir un roi avec toute sa valetaille de nobles et d’évêques ? Tu es pour l’égalité ?
— L’égalité, je suis pour.
— Alors, je vais te dire, méfie-toi du lieutenant Demaison. Il a joué le bon républicain pour sauver sa tête, mais il est royaliste. Pour lui, les hommes, c’est de la chair à canon. Il a le mépris.
— Et les autres officiers ?
— Guillotin prend le vent comme il vient et je le crois dévoué au Directoire, mais Violet a une idée de la République qui n’est peut-être pas tout à fait la même que la nôtre.
— Que veux-tu dire ?
— Ce que je veux dire. Bonaparte a beau être en Egypte, il y a des gens qui parlent beaucoup de lui.
— Je sais. François Labat, qu’on appelle Hardit, en avait plein la bouche à Langon.
— Hardit ? C’est un soldat. Il a été pris par la contagion des conquêtes, et les conquêtes de Bonaparte, c’est davantage l’affaire des soldats que des marins. Pendant qu’il s’amuse en Egypte, il laisse massacrer la flotte en Méditerranée et, comme les Anglais ne comprennent que la guerre en mer, ils en profitent pour faire alliance avec tous les tyrans d’Europe et pour essayer d’en finir avec la Révolution !
N’ayant pas l’habitude de discuter politique, Hazembat ne voyait pas où Papounet voulait en venir. Il fronça les sourcils.
— Nous saurons bien les en empêcher, grommela-t-il.
— Pas si les ennemis de l’intérieur s’y mettent. Il n’y a pas que les Anglais qui désirent en finir avec la Révolution.
— Si tu veux parler des gens comme Hardit, c’était un bon jacobin !
— Bien sûr ! mais on change. Tu sais qu’il a renoué avec son fils Angel Labat, celui qu’on appelait Capdemule ? Lui, ce n’était pas un jacobin.
— On l’avait arrêté comme suspect de monarchisme, mais on arrêtait n’importe qui à cette époque !
— Monarchiste ou pas, il s’est réfugié à Toulouse et s’y est établi chaudronnier. Avec le trafic de l’armée, il est devenu riche. Maintenant, je vais te dire une chose et garde-la pour toi : le vrai maître à bord de ce navire, ce n’est pas le commandant Guillotin,
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