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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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rencontrer, comment étaient les voiles ?  
    Sur le moment, Hazembat ne comprit pas la question. Lucas tonna de nouveau :  
    — Les vergues étaient déjà rebrassées par tribord ou non ?  
    Il fit un violent effort pour se représenter l’aspect du gréement à cet instant précis.  
    — Oui, commandant… sauf la vergue de misaine qui était encore brassée carré. C’est même ce qui a fait masquer…  
    — Combien de temps s’est écoulé entre le contre-ordre du commandant et le moment où tu as senti le gouvernail devenir mou ?  
    — Au moins le temps de compter jusqu’à cent… peut-être davantage, commandant.  
    — Ce pourrait être deux minutes ou plus ?  
    — Oui, commandant.  
    Les officiers échangèrent des regards entendus.  
    — Et, quand le commandant t’a fait mettre la barre dessous pour culer, combien de temps s’est écoulé avant que la vergue de misaine soit brassée en pointe et commence à prendre le vent ?  
    Une éternité. Hazembat essaya de se souvenir du moment où il avait senti le gouvernail mordre. C’était juste après la première bordée de l’Anglais, mais juste avant il avait vu le hunier de misaine légèrement gonflé par le vent. A ce moment-là, les canons de retraite avaient déjà tiré une quinzaine de coups. Auparavant, Guillotin avait fait tirer sa propre bordée. Hazembat se revoyait, impuissant devant la roue folle qui n’offrait plus de résistance.  
    — Au moins dix minutes, commandant, plutôt un quart d’heure.  
    — Dix minutes ou un quart d’heure ?  
    Redevenu complètement lucide, Hazembat comprenait l’importance de la question. En cinq minutes, l’Anglais parcourait plus de quatre encablures. Si l ’Argonaute avait mis moins de dix minutes à reprendre le vent, il n’aurait jamais pu le passer par l’arrière.  
    — Un quart d’heure, commandant.  
    — Bien, tu peux disposer. Il n’y a aucune raison pour te maintenir aux arrêts. Tu peux reprendre ton poste à bord de l’ Argonaute.  
    L’après-midi, Hazembat alla à l’apothicairerie chercher son maigre fardage. Ce fut Lambert qui lui apprit le verdict de la cour : tout le monde était acquitté, sauf Demaison qui était rétrogradé et affecté aux bureaux de l’administration maritime à terre.  
    — Il y a des chances d’y rester jusqu’au retour du roi, ce qui peut prendre un certain temps !  
    A bord, presque rien n’avait changé. Bottereaux était un peu moins agile pour escalader l’échelle de dunette. Leblond-Plassan, qui remplaçait Demaison comme officier de manœuvre, n’avait pas grand-chose à faire au mouillage. Ce fut le soir seulement, en gagnant son hamac, qu’Hazembat eut comme un coup au cœur quand, au lieu du visage familier de Verdier, il vit dans le hamac voisin celui d’un inconnu aux sourcils en broussaille qui se dressa à moitié et lui tendit la main.  
    — Je suis Dutertre, de Saint-Malo, dit-il d’une voix caverneuse. On est de la même bordée.  
    Machinalement, Hazembat prononça les paroles de bienvenue, mais il y avait un grand vide dans ses tripes. Il avait vu mourir Verdier comme dans un rêve et maintenant seulement il se rendait compte que c’était vrai.  
    Contrairement à Verdier, Dutertre avait beaucoup voyagé. Son oncle était un fameux corsaire malouin et il avait servi à son bord depuis l’enfance. Ebloui, Hazembat l’écoutait parler de l’île de la Réunion, ci-devant Bourbon, où l’air tiède charriait des parfums de café et de vanille, des typhons du golfe dont une seule lame pouvait engloutir un navire corps et biens, des femmes de la côte du Malabar aux seins ronds et fermes, des monstres des abîmes dont on voyait béer les gueules menaçantes entre deux eaux, des plages claires des mers du Sud où l’on faisait l’amour dans les vagues phosphorescentes. Ces évocations magiques faisaient paraître bien ternes ses propres souvenirs des Antilles. Dutertre avait connu Surcouf et, face au légendaire personnage, même le prestige du capitaine Lesbats pâlissait.  
    Cependant, pour n’être pas en reste, il raconta ses aventures à bord de l’ Abigail et de la Belle de Lormont. Dutertre ne parut pas impressionné par la fin héroïque du corsaire devenu pirate, mais il fut intéressé par le voyage de l’ Abigail à Popo pour charger des esclaves.  
    — La traite, dit-il, ça paie, et il n’y a pas de risques.  
    — Moi, je ne suis pas pour.

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