Marin de Gascogne

novateurs turbulents. Elle veut enfin recueillir le fruit de dix ans de sacrifices. »  
    Il fit ensuite acclamer la République et annonça une journée de repos avec double ration de vin. A côté de lui, Violet cria :  
    — Vive Bonaparte !  
    La réponse fut molle. Papounet marmonna dans sa moustache :  
    — Ils veulent Washington, ils auront César !  
    Hazembat avait entendu parler de Washington par Alexis Prunes Duvivier, mais il ignorait qui était César.  
    Les choses changèrent très vite à bord de l’ Argonaute. Une discipline plus stricte s’établit. Au cours de Frimaire, les hommes reçurent des tenues réglementaires et les arriérés de solde furent payés. Hazembat ne descendait que rarement à terre, malgré les invitations de Dutertre. Il aurait voulu revoir Jantet, mais la Bayonnaise avait appareillé à la fin de Vendémiaire.  
    Le soir du 9 Nivôse, il y eut une fête à Brest. C’était le dernier jour du siècle et, bien que le calendrier républicain fût le seul réglementaire, personne n’avait oublié qu’à minuit ce serait le 1 er janvier de l’an 1800. Hazembat dansa et but jusqu’au jour.  
    Quelques jours plus tard, Hazembat reçut ses étrennes sous la forme d’une lettre de Pouriquète. Ce n’était pas l’écriture ornementée de Cametorte, mais celle de quelqu’un qui avait l’habitude de la plume.  
    Mon Matelot aymé  
    Je t’écris en secret de mon pere grace a l’abbé Laffargue. Cametorte n’est plus a la maison du Port. Il est entré comme charron chez Escarpit du Chasseur a Toulayne. Je veus que tu sache que je ne desire d’autre Epoux que toi devant Dieu. Tout le monde se porte bien icy et toi de meme j’espère. Jantet a ecrit que tu avez été blessé mais que tu va bien maintenant. Ecris moi par l’abbé Laffargue. Je me languis de tes nouvelles.  
    En bas de la page, l’abbé avait écrit pour son propre compte un bref message :  
    La paix soit avec toi, mon fils. Tes parens sont en bonne santé. Nous t’attendons tous. Je pense pouvoir fléchir Capulet.  
    Hazembat répondit aussitôt, jurant à Pouriquète un amour éternel.  
    L’hiver passa avec de rares sorties en mer. Bruix, qu’on disait malade, ne s’occupait guère de la flotte et ce fut un soulagement quand il fut remplacé par Ganteaume qui avait pris part à la campagne d’Egypte. A bord de l’ Argonaute, on ne voyait plus guère que Violet à qui Guillotin abandonnait de plus en plus le soin du navire.  
    Au début de Germinal, Papounet fut transféré aux chantiers de terre, puis, à l’occasion d’une maladie ou d’une promotion, d’autres mutations intervinrent. Il fallut un certain temps à Hazembat pour s’apercevoir qu’elles touchaient plus particulièrement les membres de la loge des Vengeurs du Peuple. Mais ils n’étaient pas les seuls. Un jour, un de ses aides timoniers, connu pour ses sympathies vendéennes, fut, sans aucune raison apparente, affecté sur un cotre qui faisait le service du port. Etonné, il s’en ouvrit à Dutertre.  
    Celui-ci eut un sourire en coin et cligna de l’œil.  
    — Il avait la langue un peu trop longue. Il s’est fait repérer comme royaliste.  
    — Mais par qui ? C’est tout juste s’il parle français !  
    — Il faut savoir leur tirer les vers du nez. La graine de conspirateur, moi, je la sens.  
    — Tu veux dire que c’est toi qui l’as dénoncé ?  
    — Violet me paie pour ça. Hazembat le regarda avec horreur.  
    — Tu trahis tes camarades pour de l’argent ?  
    — Je ne trahis personne. Je répète ce que j’ai entendu, c’est tout. C’est eux qui se trahissent.  
    — Tu répéterais ce que je dis ?  
    — Oh, toi, il y a longtemps que tu es repéré comme jacobin ! Mais tu es trop honnête pour être dangereux.  
    Bottereaux fut affecté à l’intendance maritime en Germinal. Guirrec, promu enseigne entretenu, reçut en Prairial le commandement d’un chasse-marée. En Fructidor, ce fut le tour de Leblond-Plassan, nommé sous-adjudant à l’état-major de Lorient. Quand Hazembat alla lui faire ses adieux, il lui dit :  
    — J’aurais aimé te faire passer quartier-maître avant de m’en aller, mais on n’a même pas encore confirmé ma promotion comme lieutenant de vaisseau !  
    — Qu’est-ce qu’on vous reproche, lieutenant ?  
    — Sans doute de n’avoir pas montré tout l’enthousiasme désirable pour le Premier Consul. Vois-tu, je