Marin de Gascogne
de dorures. Les lieutenants hurlaient des ordres indistincts pour obtenir le silence dans les rangs.
Profitant d’une accalmie relative, Labat leva les bras.
— Camarades volontaires !… Ecoutez-moi !… Voici à mes côtés le général Courpon qui commande un détachement de l’armée patriotique de Bordeaux en route pour Montauban où la municipalité contre-révolutionnaire, avec la complicité des dragons du régiment de Languedoc, vient de faire emprisonner les bons patriotes !
Un long hurlement lui répondit. « A Montauban ! A Montauban ! » criait-on de toutes parts. Labat dut faire rouler les tambours pour obtenir de nouveau le silence.
— Je donne la parole au citoyen général Courpon ! Courpon s’avança jusqu’au bord de la table.
— Citoyens volontaires de Langon, je vous remercie et je vous félicite pour votre zèle patriotique !
Sa voix était moins forte que celle de Labat, mais plus nette et plus tranchante. Elle contrastait avec son visage bonhomme et sa manière assez peu militaire de porter l’uniforme comme si c’était une robe d’avocat.
— Mais justement parce que votre détermination est inébranlable, continua-t-il, la Patrie ne saurait se passer de votre vigilance constante sur ce rivage où vous êtes le rempart de la Nation et où rien ne doit vous détourner de ce devoir sacré ! Le détachement que je commande est fort de quinze cents hommes et le premier bataillon sera ici en fin d’après-midi. Je demande aux braves que vous êtes d’héberger pour la nuit les braves qui se succéderont ici jusqu’à mercredi. A l’aube, ils reprendront leur impétueux élan vers Montauban, réconfortés par votre hospitalité fraternelle !
Cette déclaration fut accueillie par des murmures peu enthousiastes. Frustrés, les gardes nationaux de Langon n’acceptaient pas facilement que des Bordelais aillent à leur place se couvrir de gloire sur un théâtre d’opérations où, somme toute, ils n’avaient que faire.
Dervy s’avança et salua de l’épée.
— Citoyen général, dit-il, même si la force que vous conduisez à Montauban est considérable, l’appoint de quelques centaines de volontaires ne peut que vous être utile. D’autre part, nous avons ici à Langon une pièce de canon que nous pouvons emmener avec nous.
— Rassurez-vous, citoyen capitaine, une batterie de quatre pièces accompagne le premier bataillon et, en ce moment même, deux gabares chargées de mortiers, de poudre et de boulets sont en train de remonter la Garonne !
Bernard retint son souffle. Il s’agissait certainement des embarcations qu’il avait aperçues devant Toulenne. Elles ne devaient pas être loin maintenant. Tandis que la discussion continuait, il se glissa hors des jardins et gagna le quai.
Les deux gabares étaient à l’aplomb du port des Carmes et avançaient plus rapidement avec l’étalé. Avec leurs voiles à livarde et leurs focs, elles avaient une silhouette assez différente de celle des couraus. Plus courtes et plus ventrues, elles devaient être moins maniables, mais mieux armées pour lutter contre le courant, voire contre les vagues de l’estuaire. Quatre paires de longs avirons frappaient l’eau en cadence et des gardes nationaux en armes montaient la garde sur les coursives.
Au moment où la première gabare arriva à hauteur des Chais, l’homme qui tenait la barre, un fort en muscle portant un maillot rayé et un bonnet rouge de laine délavée, cria un ordre et les avirons se levèrent, puis se mirent à scier doucement, cassant l’erre de l’embarcation qui resta presque immobile.
— Ohé de la ribère ! appela-t-il.
— Ohé du bateau ! répondit Bernard en s’avançant jusqu’au bord de l’eau.
Les yeux de l’homme parcoururent les quais déserts.
— Di’onc, drôle ! Y aurait pas chez vous un gonze qui sache se démouniquer sur cette putasse de rivière ? Déjà on a failli s’emmouscailler sur le banc de Podensac, alors, par là-haut, quand ça commencera à tournicailler, putain de moine ! on risque de s’esbougner les berles !
Bernard avait assez souvent entendu l’argot bordelais sur le port pour comprendre.
— Vous voulez un pilote ?
— Piloter, je sais, couillon ! Ce qu’il me faut, c’est un tripougnous quelconque qui connaisse les ragouils de la rivière !
L’idée jaillit soudain dans l’esprit de Bernard, si folle
Weitere Kostenlose Bücher