Marin de Gascogne
— On écrit mon nom comme ça…
Dans la poussière qui couvrait la paroi du rouf, il traça du bout des doigts : C. O’QUIN.
— Qu’est-ce que tu lis ?
— Co… quin…
— Tu vois que le fourrier avait raison.
— Alors pourquoi dites-vous « ocouine » ?
— Parce que ça se prononce comme ça en anglais.
— C’est un nom anglais ?
— Non, irlandais. C’est tout à fait différent.
— Alors vous n’êtes pas français ?
— Moi si. Ma famille est française et, avant d’être un loyal serviteur de la Nation, j’étais un loyal sujet du Roi de France. Par contre, mon grand-père Patrick était un sujet beaucoup moins loyal, je le crains, de Sa Majesté Britannique. C’est lui qui a fondé notre maison de commerce.
Du coup, Bernard comprit : le citoyen Coquin appartenait à une de ces familles de négociants étrangers établis à Bordeaux dans le quartier des Chartrons, avec lesquels les Rapin faisaient souvent affaire.
— Hazembat ! rugit la voix de Roumégous. Qu’est-ce que tu roubignoles ? J’ai besoin de toi ! Viens par ici !
On était à l’entrée du méandre de Caudrot. Déjà le patron avait mis la barre à bâbord, fait border la voile au plus près et lancé les rameurs à la cadence maximale.
— Je prends de l’erré pour passer le coude. Comment c’est, à la sortie ?
— Il y a un banc de grave le long de la rive droite.
— Le fond est à combien ?
— Dans les trois pieds.
— Pas assez pour moi. Je vais ranger la rive gauche.
— Il faut faire attention s’il y a un bateau qui descend.
— Chargés comme nous sommes, il se fera mascagner s’il n’évite pas en vitesse !
On jeta l’ancre en vue de La Réole à la nuit quasiment tombée. Roumégous, qui commandait à la fois aux équipages et à l’escorte, ordonna les tours de garde, puis tendit à Bernard un quignon de pain et un morceau de ventrèche.
— Cale-toi l’estomac, matelot.
Une marie-jeanne de vin circula, chacun buvant à la régalade. Seul, O’Quin emplit une petite timbale qu’il avait discrètement tirée de sa poche. Il l’offrit à Bernard.
— Tu en veux ?
Ce n’était pas digne d’un marin.
— Je préfère boire à la bouteille.
La marie-jeanne était lourde et Bernard s’éclaboussa copieusement de vin. O’Quin feignit ostensiblement de ne pas s’en apercevoir. Vexé, Bernard s’essuya le visage avec la manche et chercha quelque chose à dire pour se donner une contenance.
— Vous savez parler l’anglais ? demanda-t-il à tout hasard.
— Oui, bien sûr.
— C’est comment, l’anglais ?
— Euh… eh bien, il y a des choses qui sont comme en français, d’autres non…
— Comment dit-on bâbord ?
— Larboard.
— Il y a un morceau qui ressemble au français, l’autre pas. Et tribord ?
— Starboard.
— C’est pareil. Et le mât ?
— Mast.
— Maaast… essaya de répéter Bernard. C’est juste la façon de dire qui change. Et un courau ?
— Un courau ?… Je suppose qu’on l’appellerait barge.
— Baaage… On dit aussi barge en français, mais pas chez nous.
— Tu veux apprendre l’anglais ?
— A quoi ça me servirait ?
— Si tu deviens navigateur, plus tard, ça peut t’être utile. Il y a beaucoup de navires anglais sur les océans.
— Je sais. Mon père leur a fait la guerre.
— Roumégous aussi, et il a appris de l’anglais. Ecoute…
Levant sa timbale en direction du patron, il lui cria :
— Captain ! A toast to the King of England !
— Bugger the bloody bastard ! répondit aussitôt Roumégous.
— Il connaît davantage de jurons en anglais que je ne connais de prières en français, dit O’Quin en haussant les sourcils.
Dès le lendemain, quand O’Quin n’était pas de faction et que le patron n’avait pas besoin de Bernard, les leçons commencèrent. Bernard avait une bonne oreille et la langue déliée. Quand, dans la soirée du 20 mai, ils arrivèrent à Marmande, il pouvait employer déjà une trentaine de mots.
Les gabares mouillèrent un peu en aval du quai où étaient amarrés quatre couraus. Bernard crut que son cœur allait s’arrêter quand, parmi eux, il reconnut le bordage rouge et vert de l’ Aurore.
Un canot se détacha de l’appontement. Un officier
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