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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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propriétaires terriens, notamment Arnaud Paynaud, le grand-père de Bernard.  
    Quand la Gigasse revint à Langon début novembre, les choses avaient encore changé. Face au club monarchique, Jean Lafargue, Maître Boissonneau et le docteur Graullau avaient fondé la Société populaire des amis de la Constitution. Brutus Boyreau n’y fut admis qu’après une âpre discussion et un scrutin difficile. Dès sa première séance qui se tenait à l’église Notre-Dame-du-Bourg, la Société fit savoir qu’elle entendait jouer à Langon le même rôle de vigilance populaire et de débat démocratique que le club des Jacobins à Paris.  
    Sur ces entrefaites, la Gigasse reprit le fil de la rivière, mais, cette fois, vers l’aval, avec un chargement de vin à destination de Bordeaux. En examinant les marques des barriques, Bernard nota que le cosignataire était la maison O’Quin.  
    Au matin du troisième jour, la Gigasse longea une île verdoyante devant les coteaux de la Benauge. Dans la ligne droite qui suivit, le trafic devint plus intense. Par dizaines, gabarots et couralins desservaient les sècheries de poisson et les entrepôts de grains qui bordaient la rive gauche de Caminasse à Paludate. Au moment où le lit du fleuve, large maintenant de plus de deux cents toises, s’incurva vers le nord-ouest, une risée déchira le rideau de bruine et la silhouette élancée de la flèche de Saint-Michel jaillit sur le fond blanc d’argent des nuages. Au-delà s’étendait sur quatre lieues, jusqu’aux lointaines collines de Lormont, l’arc majestueux du fameux port de la Lune.  
    Souvent Bernard en avait entendu vanter les merveilles, mais il n’imaginait pas la courbe parfaite des façades blanches coiffées d’ardoise, qui recevait la rivière au cœur de la ville en un geste de tendresse et de puissance sereine. A mesure qu’ils approchaient, commencèrent à émerger de la brume bleutée les mâts des voiliers de haute mer. Leurs vergues croisées formaient comme un lacis de dentelle au-dessus de leurs coques géantes.  
    Se faufilant au picon entre les embarcations de toutes tailles, la Gigasse passa devant la porte de Bourgogne au débouché du fossé des Salinières. Bernard ne soupçonnait pas qu’il pût exister des monuments de pareille taille. Il resta bouche bée devant cet arc de triomphe à la gloire du fleuve.  
    Après les Salinières, l’arc altier des façades continuait à se déployer, ininterrompu, jusqu’à une esplanade verdoyante où un chantier de démolition abandonné marquait l’emplacement du Château-Trompette. Au-delà, s’étendait le faubourg des Chartrons, ville à côté de la ville, avec ses demeures patriciennes et ses chais de pierre.  
    La Gigasse vint se ranger à une trentaine de pieds d’un quai en pente. Caprouil fit baisser la voile et lancer deux aussières aux débardeurs en haillons qui traînassaient sur le quai. Il fallut un long échange de jurons et d’invectives avant qu’elles fussent amarrées à de gros pilots de bois plantés haut sur la rive. Puis il fallut encore palabrer pour que six gueillous se décident à coltiner jusqu’au bord et à pousser dans la direction du courau une longue planche épaisse de six pouces. Sur l’ordre de Caprouil, Bernard se mit à l’eau pour frapper une aussière sur le bout de la planche qui fut hissée à bord et fixée à une bitte, formant ainsi une passerelle entre l’embarcation et le quai.  
    Il était midi passé quand toutes ces opérations furent terminées.  
    — Je vais voir notre consignataire, dit Caprouil. Viens avec moi, Hazembat, tu rencontreras peut-être ton ami O’Quin.  
    L’homme qui les accueillit dans un bureau de l’entresol n’était pas le citoyen Coquin, mais un vieux commis d’allure austère. Il vérifia les papiers que lui apportait Caprouil.  
    — Bien, dit-il, notre maître de chai ira demain matin reconnaître la marchandise et je vous enverrai les charrettes dans l’après-midi.  
    Comme ils allaient sortir, Bernard s’enhardit à demander :  
    — Est-ce que M. Claude O’Quin vient quelquefois ici ?  
    Le commis haussa les sourcils devant l’audace du jeune matelot qui osait ainsi poser des questions sur les maîtres. Puis il dut se souvenir qu’il y avait une révolution en France. Une sorte de sourire amer tordit sa bouche mince.  
    — M. Claude ? S’il ne fait pas l’exercice avec la garde, il est certainement au Café national,

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