Marin de Gascogne
reparut, une torche de paille à la main.
— Viens.
L’intérieur du carbet avait été nettoyé et le sol était jonché d’une épaisse litière de palmes. Belle piétina la torche et se tourna vers lui dans l’obscurité.
— Nous avons toute la nuit, dit-elle.
Sans qu’un autre mot fût prononcé, ils se trouvèrent nus et enlacés sur les feuilles rêches. Leur première étreinte fut brève et furieuse comme une bourrasque quand la rage d’un grain longtemps retenu derrière l’horizon laboure soudain et fait éclater une mer trop calme. Puis vint la lente houle de la tendresse avec parfois des tourbillons étourdissants qui les laissaient haletants sur des rivages magiques où régnait la senteur verte des palmes coupées.
Beaucoup plus tard, la lune se leva, éclairant faiblement à travers la porte disjointe leurs corps moites, gisant côte à côte, les doigts languissamment noués.
— Tu as beaucoup appris, à Baltimore, dit-elle. Comme Bernard allait répondre, elle lui mit la main sur la bouche.
— Non, ne dis rien. Ce n’est pas un reproche. Je sais de quoi je parle. Il n’y a pas de fille ici qui puisse rester vierge à douze ans passés ou même, je pense, qui le désire. J’ai souvent fait l’amour, mais jamais comme cette nuit.
— C’est que je t’aime.
Les doigts de Belle allèrent caresser la cocarde sur la poitrine de Bernard.
— Non. Songe à celle qui attend sa fleur de vanille. Tu aimes mon corps et j’aime te le donner, mais tu ne peux pas le garder. Même si tu restais, il va bientôt se flétrir.
La lune déclinait quand ils allèrent sur la plage se baigner dans les rouleaux phosphorescents. Puis ils s’étreignirent encore longuement sur le sable tiède. Soudain, Belle se redressa, tendant l’oreille. Ses yeux étaient fixés sur la mer que la lune éclairait en oblique.
— La chaloupe de ronde, dit-elle. Ton ami ne va pas tarder.
Elle l’entraîna vers le carbet où ils se rhabillèrent, puis alla prendre un sac dans le chariot.
— Ton fardage. J’y ai mis deux noix de coco et un flacon de rhum de la part de mon père.
Il la prit dans ses bras et posa ses lèvres sur les siennes.
— Belle, j’ai mal.
— Moi aussi, mais nous aurons tous les deux tant à faire que cela finira par passer.
Le canot fit si peu de bruit qu’ils ne l’entendirent pas quand il s’échoua à quelques toises d’eux.
— Hey, mate ! that’s you ? demanda Sam dans ce qu’il prenait sans doute pour un murmure.
— Coming, mate ! répondit Bernard.
Une dernière fois, il embrassa Belle, puis il chargea son sac sur son épaule et courut jusqu’au canot. Le temps qu’il aide Sam à remettre l’embarcation à flot et qu’il saute à bord, Belle avait disparu.
Sam lui montra une deuxième paire de rames qui gisaient sur le fond.
— C’me on, mate ! pull ! Nous avons un bout de chemin à faire pour gagner le navire par le large avant le jour !
Il leur fallut lutter plus d’une heure contre les courants du Cul de Sac, mais la marée descendante les aida et la nuit commençait à peine à pâlir quand ils s’arrimèrent au flanc de l’ Abigail.
Dès qu’ils furent à bord, Sam conduisit Bernard jusqu’à la fosse aux câbles, dans les tréfonds du navire.
— Captain’s orders, dit-il. Ces Frenchies du diable font des visites de temps en temps. Je te ferai sortir quand la côte sera saine, mais il faudra que tu restes ici pendant toute l’escale.
— Ça durera longtemps ?
— Aucune idée. Tu demanderas au capitaine. Il viendra te voir dans la journée. Tu as de quoi manger et de quoi boire.
Ouvrant son sac, Bernard tira la bouteille de rhum.
— Let’s toast to freedom, dit-il, trinquons à la liberté.
— Freedom to you, répondit Sam avant de prendre une solide lampée.
Dès le départ de son camarade, Bernard prit dans son sac le couteau que lui avait donné son père et, après s’être escrimé un bon moment, parvint à ouvrir une des noix de coco. C’était la première qu’il ait eu le temps de boire au cours de sa brève escale à la Guadeloupe. La saveur aigrelette du lait éveilla en lui une douce et déchirante nostalgie. Il ferma les yeux pour songer à Belle et s’endormit aussitôt profondément. Il fut réveillé par le capitaine Mac Nabb qui lui secouait le coude.
— Sorry, boy, excuse-moi
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