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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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dans d’énormes mortiers, soulevant en cadence les lourds pilons de bois.  
    Quelques Blancs loqueteux traînassaient dans la cour, poussant parfois un coup de gueule et distribuant des cinglées de chicote. L’un d’entre eux, plus vieux, plus buriné et plus tanné encore que les autres, s’approcha de Bernard et lui dit en français :  
    — On me dit que tu viens de France.  
    — Pourquoi ? demanda Bernard, méfiant.  
    — Parce que j’en viens moi aussi. Mais j’ai quitté le pays il y a bien longtemps, quand j’ai été capturé par les Barbaresques. Je n’y suis jamais retourné. Comment c’est, leur Révolution ?  
    — Il y a du bon et du moins bon. L’autre le regardait d’un air bizarre.  
    — J’écoute ton accent. Tu n’es pas du nord de la Loire, toi.  
    — Je suis de Langon, sur la Garonne.  
    —  Hé, hilhdeputa ! jo que soy de Cadilhac ! Que m’apèri Pèir Dupeyron e me disevan Perrec !  
    — Jo que m’apèri Bernard Hazembat.  
    — Qu’èi plan coneishut aute Bernard Hazembat, mes deve estar hèra vielh adora !  
    Cela faisait tourner la tête à Bernard de retrouver après tant de mois sa langue maternelle.  
    —  Qu’ère mon gran-pair. Il s’est noyé dans la Garonne en soixante-quatorze.  
    —  Setanta e catre ! s’écria Perrec. Mais ça fait plus de vingt ans, ça ! Ainsi, tu es le petit-fils d’Hazembat. Dommage qu’il se soit noyé. C’était un fameux marin !  
    — Il est mort avant ma naissance. Je ne l’ai pas connu.  
    — Moi si, et bien ! Ecoute, drôle, tout ce que j’ai est à ta disposition. Tu veux une négresse ? J’en ai une toute jeune que je n’ai pas encore touchée.  
    La pensée de Flora vint à Bernard, écœurante.  
    — Non, pas pour le moment.  
    — Tu y viendras. Quand les esclaves seront arrivés, nous aurons du mal à retenir tes camarades d’équipage.  
    Les premiers esclaves survinrent une dizaine de jours plus tard, en une longue file de corps nus et luisants de sueur, enchaînés les uns aux autres, certains accouplés deux par deux par une longue cangue de bois. Des nègres armés de fusils leur faisaient escorte et les pressaient en avant à coups de fouet.  
    Au fil des jours, les préaux commencèrent à s’emplir. Il y avait là plus de trois cents hommes, une centaine de femmes et quelques dizaines d’enfants, entassés à même le sol, les pieds entravés. Une fois par jour, ils défilaient devant les négresses du fortin pour recevoir une boule de pâte de manioc ou d’igname et laper quelques gorgées d’eau dans de grandes calebasses.  
    Pendant ce temps, les charpentiers de bord s’activaient à aménager l’entrepont débarrassé de ses marchandises. Ils dressaient des cloisons à claire-voie pour former des sortes de parcs à bestiaux. Bernard songea aux moutons de l’ Aurore.  
    —  Ni plus ni moins que du bétail, lui dit Perrec quand il lui fit part de cette réflexion. Et je t’en parle savamment : j’ai été cinq ans esclave chez les Maures. On n’est pas toujours malheureux : il y a l’âne pelé qu’on fait mourir sous les coups de triques, mais il y a aussi le bon bœuf de labour qu’on nourrit de fourrage frais. Ceux-là s’y feront comme les autres.  
    — Mais ils ne sont pas libres !  
    — Crois-tu qu’ils l’étaient avant ? D’être esclaves, justement, ça leur donnera peut-être le goût de le devenir. Regarde-moi. Pourquoi crois-tu que j’ai choisi cette vie de misère ? Parce que, maintenant que j’ai goûté à la liberté, je n’ai même pas envie d’aller essayer celle de ta République !  
    C’est seulement à la fin de janvier que le chargement commença. Le subrécargue et le médecin examinaient soigneusement chaque esclave avant d’en prendre livraison, inspectant les dents, les muscles, le sexe, allant même jusqu’à humer la sueur pour déceler quelque drogue destinée à donner bonne apparence à une marchandise douteuse. Cela entraînait encore de longues discussions et palabres.  
    Le 3 février enfin, les hommes d’équipage purent fermer les écoutilles sur les trois cent quarante-cinq têtes de la cargaison. Pour profiter des vents favorables, l ’Abigail mit le cap ouest-sud-ouest en direction des côtes du Brésil.  
    Le dimanche suivant, le texte choisi par Mac Nabb concernait encore Joseph, mais c’était l’épisode où il était vendu par ses frères. Après le cantique, au

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