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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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d’interrompre ton sommeil, mais je voulais te dire que je t’ai fait réinscrire sur le rôle d’équipage. Nous appareillerons dans une huitaine de jours et tu feras le voyage avec nous. Mais je dois t’avertir d’une chose qui, tel que je te connais, ne te plaira probablement pas. Notre destination est Popo, sur la côte de Guinée. Nous allons charger des esclaves.  
    — Des esclaves !  
    — Oui. Je ne peux pas te dire que j’aime beaucoup ça, mais c’est mon métier, vois-tu, et, que tu le veuilles ou non, ce sera le tien.  
    — Je croyais qu’on importait plus d’esclaves au Maryland.  
    — Nous irons les décharger à Cuba, du moins si la situation le permet. Les nègres se sont révoltés à Saint-Domingue et les Espagnols ont du mal. Tu as l’air d’un garçon intelligent. Est-ce que tu as pu te rendre compte de l’état d’esprit des nègres à la Guadeloupe ?  
    —  Il s ont peur qu’on leur reprenne la liberté qu’on leur a donnée.  
    — Mais tu n’as pas l’impression qu’ils vont se révolter ?  
    — Pas pour le moment, mais ça peut venir.  
    Les huit jours à fond de cale ne furent pas trop durs pour Bernard. Régulièrement, Sam venait le ravitailler et, parfois, durant le quart d’après minuit, il l’emmenait prendre l’air sur le pont désert où les matelots de veille ne faisaient pas attention à eux.  
    L’appareillage eut lieu un dimanche à l’aube par mer calme, avec une bonne brise de nordé, l’ Abigail courant au plus près contre l’alizé le long du 15 e parallèle.  
    Dès le jour, Sam avait entrouvert le panneau d’écoutille et appelé Bernard pour l’envoyer, tout étourdi d’air et de lumière, épisser un raban de vergue dans la hune.  
    Puis ce fut la cérémonie religieuse. En écoutant attentivement, Bernard comprit que le verset de la Bible choisi par le capitaine racontait comment Joseph avait été mis en prison et comment la main du Seigneur l’y avait protégé. Il y vit une allusion à son propre sort et se joignit de tout son cœur au cantique.  
    La traversée fut relativement facile et dura trente et un jours. Ce fut Bernard, de vigie au grand mât, qui, le premier, aperçut la terre comme une ligne gris sombre à la base des nuages. L’avant-veille, l’ Abigail avait changé de cap et voguait largue est-sud-est. Sam vint le rejoindre avec un officier muni d’une lunette.  
    — C’est le cap Palmas, dit-il. Dans six jours, nous y sommes.  
    L ’Abigail changea encore de cap et fit route est-nord-est par est. A l’aube du sixième jour, le navire mouilla devant une plage qui ressemblait à celles de la Guadeloupe, mais en plus gris, plus hostile. Le ciel de plomb semblait suinter d’humidité tiédasse.  
    A quelque distance de la rive, on distinguait une construction trapue, faite de rondins et flanquée de vastes préaux aux toits de palmes.  
    — C’est le fortin du traitant, dit Sam. La dernière fois que je suis venu, il était tenu par un renégat anglais et quelques forbans de son espèce.  
    — Et les bâtiments autour ?  
    — C’est là qu’on parque les esclaves.  
    — On n’en voit aucun.  
    — Qu’est-ce que tu crois ? Il faut attendre les palabres. Cela peut durer des semaines. C’est le roi d’Abomey en personne qui négocie la traite et il crèche à plusieurs jours à l’intérieur des terres.  
    Le subrécargue descendit le premier. C’était un gros gaillard dont les petits yeux fureteurs et cruels démentaient la mine réjouie. Il s’appelait Simon Lebret et Bernard avait entendu dire qu’il était d’origine acadienne, mais il n’avait jamais eu l’occasion de parler à un si haut personnage. Du fortin, un homme vêtu d’un boubou blanc et coiffé d’un chapeau de paille informe vint à sa rencontre. Il était accompagné de quatre nègres nus, armés de fusils.  
    La semaine s’écoula sans que rien d’autre se produisît. Puis on se mit à débarquer la marchandise de traite qui s’en allait dans le fortin, sous la protection du traitant. Bernard fit plusieurs fois partie des corvées de déchargement, ce qui lui permit d’avoir une idée de l’intérieur du fortin, plus vaste qu’il ne l’avait d’abord imaginé. Une cinquantaine de personnes devaient vivre là, dont la moitié composaient la garnison. Des négresses nues faisaient la cuisine devant des foyers en plein vent et d’autres pilaient inlassablement une sorte de pâte

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