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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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lieu de renvoyer immédiatement l’équipage à ses occupations, il fit un bref discours.  
    — Les esclaves que nous avons à bord, dit-il, sont de la marchandise et sont des hommes. J’entends que vous les respectiez des deux façons. Quiconque endommagera volontairement un esclave sera puni de douze coups de fouet si l’esclave meurt. Quant aux femmes, je conçois que cela puisse être une tentation. Le docteur Van Huys en choisira six qui seront à la disposition de l’équipage dans la soute à grains. Vous vous ferez inscrire chez le bosco. En dehors de celles-là, celui qui en touchera une autre aura droit à six coups.  
    Le docteur Van Huys était un homme blond et placide, originaire de New York. Bernard eut l’occasion de faire sa connaissance quand il fut désigné pour l’accompagner lors d’une visite sanitaire de la cargaison de bois d’ébène. L’hygiène du parc à esclaves était principalement assurée par des manches à eau qui inondaient périodiquement l’entrepont pour balayer les immondices. Van Huys était surtout chargé de veiller à ce qu’aucun esclave ne fût malade au point de risquer de contaminer le reste du troupeau ou même l’équipage. Parfois, il faisait évacuer un cadavre. Les plus mal en point étaient emmenés sur le pont et entassés sous le vent, le plus loin possible des quartiers de l’équipage. Ils y achevaient leur agonie avant d’être jetés à la mer. Mac Nabb exigeait que Van Huys vérifiât le décès, perte de temps et de peine qui exaspérait le subrécargue.  
    Après les premiers jours d’abattement, puis d’accoutumance à la mer, les esclaves semblaient s’être un peu organisés dans la pénombre puante de l’entrepont. Malgré leurs entraves, ils s’étaient plus ou moins regroupés, probablement selon leur origine et leur langue, mais beaucoup restaient encore tapis contre le bordage avec des airs de bêtes apeurées.  
    — Ce sont presque tous des Yorubas, dit le docteur, bons cultivateurs et assez intelligents. Demain, je les ferai monter sur le pont pour prendre l’air. Tu verras : s’ils sont d’humeur, ils dansent bien.  
    — Vous connaissez l’Afrique, docteur ?  
    — Un peu. J’ai participé à une expédition, il y a deux ans, sur la rivière Mono dont l’embouchure est à quelques dizaines de milles de Popo. Nous étions à la recherche d’une plante qu’on disait faire des miracles, mais ce n’était que du vulgaire quinquina, du moins à ce qu’on nous a dit. Mais ces gens-là ont des secrets qui pourraient nous être utiles.  
    — Ce ne sont pas des sauvages ?  
    — Il y a un sauvage en chacun de nous, fiston. Le tout est de ne pas le laisser trop souvent sortir.  
    Bernard se souvint que Bourrut Escarpit lui avait dit à peu près la même chose à propos des brigands, le jour de la grande peur de Saint-Macaire.  
    — Quand j’ai tué un homme à New York, continuait Van Huys, et que j’ai dû m’enfuir en prenant du service sur les navires de traite, j’ai laissé sortir le sauvage qui était en moi. Au contact de ces gens, j’ai appris qu’il ne fallait pas en avoir honte, mais seulement le maîtriser.  
    Simon Lebret, le subrécargue, était, lui aussi, un habitué de la traite, mais il ne semblait pas avoir acquis beaucoup de considération pour les esclaves placés sous sa responsabilité. Son unique souci était de ramener à bon port et au meilleur compte une marchandise vendable. Pour le reste, il semblait prendre une joie maligne à augmenter encore les souffrances de ces malheureux. Un jour que les esclaves étaient sur le pont et dansaient, rythmant leurs pas de chants gutturaux soutenus par des tam-tams improvisés sur des seaux et des baquets, une toute jeune négresse se lança dans une improvisation frénétique qui déhanchait son corps mince et faisait tressauter ses seins luisants de manière violemment suggestive. Du pont aux hunes, les regards de l’équipage l’enserraient dans une coupole de concupiscence. Au premier rang, Simon Lebret, ses petits yeux allumés de convoitise, battait la cadence dans ses mains avec une sorte de rage.  
    Quand la fille s’écroula, épuisée et demi-inconsciente, il cria :  
    — Encore ! Debout !  
    Prenant le fouet du bosco, il cingla à toute volée le corps étendu.  
    — Debout !  
    La fille se releva et se remit à danser. Ses yeux étaient fermés et sa bouche contractée par un rictus douloureux. Trois

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