Marseille, 1198
tirez si bien à l’arc, c’est une
flèche qui vous départagera. Acceptes-tu, Rostang ?
— Oui. Quelles sont les autres
conditions ?
— Noble comte de Huntington, chaque année se
déroule ici un concours que mon frère a toujours gagné. La cible est un oiseau
de bois placé en haut d’un mât placé à trois cents pieds. Nous ferons ce
concours cet après-midi, et comme vous êtes d’exceptionnels archers, la cible
sera à quatre cents pieds. Le vainqueur gagnera la fille. Dans tous les cas,
seigneur de Locksley, vous partirez aussitôt après. Avec elle ou sans elle.
— Et mes amis ?
— Vous pourrez emmener le domestique, mais le
médecin restera. J’ai besoin de ses soins. Quand je serai guéri, il vous
rejoindra.
Le regard de Locksley balaya les gens devant lui.
Castillon le considérait avec un sourire plein de suffisance et de mépris, les
chevaliers aussi. Hugues des Baux restait hautain. Guilhem avait lâché Anna
Maria qui sanglotait doucement.
— Il sera fait comme vous l’avez décidé,
seigneur des Baux, dit enfin Locksley.
À cet instant, Anna Maria se jeta aux genoux du
châtelain.
— Laissez-moi ensevelir le corps de mon
frère, seigneur ! Je dois m’occuper de lui. Je me suis toujours occupée de
lui.
— C’était un félon, fit Hugues des Baux,
comme vous. Il sera jeté dans une fosse comme un chien. Arsac, enfermez cette
fille !
Robert de Locksley ne dîna pas dans la grande
salle mais dans la salle à manger des hommes d’armes et des domestiques. Ibn
Rushd et Nedjm Arslan restèrent avec lui. L’ordalie changeait une fois de plus
leurs plans.
Le dîner fini, ils rentrèrent dans leur chambre.
Robert de Locksley vérifia ses flèches et prépara ses affaires. Il fut convenu
que Nedjm Arslan resterait au château.
— Que je gagne ou que je perde, je
reviendrai, Ibn Rushd. Je ne sais pas comment, mais je reviendrai. Tenez-vous
prêt. Ce sera peut-être cette nuit ou la nuit prochaine.
— Si vous gagnez, vous aurez avec vous Anna
Maria qui vous hait désormais. Pourquoi ne lui dites-vous pas la vérité ?
— Je ne veux pas que Hugues des Baux sache
que je suis au courant de tout. Si je perds, elle découvrira rapidement que son
frère est vivant, si je gagne, je le lui dirai en partant, ou dites-le-lui
vous-même si vous parvenez à être seul un instant avec elle. Mais surtout
qu’elle ne change pas de comportement envers moi.
— Je ne vois pas comment vous allez revenir,
remarqua Nedjm le Perse.
— Pour l’instant, moi non plus, mon ami, sourit
Locksley, mais soyez sûr que j’y parviendrai.
— Je pourrais ne plus soigner le seigneur des
Beaux, proposa Ibn Rushd.
— Qui l’empoisonne, selon vous ?
— Je l’ignore. J’ai confié le soin de le
nourrir à Baralle. S’il continue à être malade, c’est elle, sinon, je pencherai
pour Castillon.
— Comment ferait-il ?
— J’espère le découvrir, grimaça Ibn Rushd.
— S’il meurt, Castillon pourrait prendre sa
place, bien qu’il ne soit qu’un bâtard, et la situation serait inconfortable
pour vous deux.
— Croyez-vous battre Castillon ?
Robert de Locksley opina avec un sourire.
À deux heures, presque tous les gens du château
étaient arrivés à l’endroit de la joute et une immense foule bigarrée entourait
déjà le champ clos limité par des pierres et des barrières de branchages. La
rumeur du tournoi, dont l’enjeu serait une femme qui aurait dû être pendue ou
jetée des murailles, s’était rapidement répandue. En plus des domestiques du
château, les tisserands et les artisans qui vivaient aux alentours étaient
venus pour le spectacle. Il y avait aussi quelques paysans des fermes
environnantes qui continuaient à arriver en famille. Des charpentiers avaient
élevé un mât près de la chapelle Saint-Blaise, avec un canard de bois peint en
rouge au sommet. D’autres avaient prolongé l’estrade de l’échafaud et y avaient
dressé des banquettes de planches au-dessus desquelles flottait l’étendard à la
comète.
Soudain, un cor retentit plusieurs fois. Le
sonneur ainsi qu’un sergent qui serait héraut d’armes pour l’occasion étaient
sur l’estrade. Locksley, présent depuis près d’une heure pour relever la force
du vent et les couloirs par où il s’engouffrait, leva les yeux vers le château.
Hugues des Baux arrivait à pied avec Monteil et
Baralle, elle-même suivie de ses servantes, des chevaliers et du père
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