Marseille, 1198
boire au seigneur ?
— C’est… c’est une thériaque… Pour sa
maladie.
— Où est le médecin ?
— Il vient de sortir, affirma Castillon. Il
est allé chercher des herbes.
Peut-être Monteil aurait-il été convaincu si, à
cet instant, le père Basile n’avait été saisi de panique. Jugeant qu’il y avait
suffisamment d’espace entre Monteil et le lit, il tenta d’atteindre la trappe.
Il avait sous-estimé la rapidité du géant. Monteil
le saisit par le cou d’un de ses longs bras et le souleva du sol. Pourtant, le
chapelain était grassouillet, mais son poids ne parut pas gêner le géant qui
lui prit le flacon de l’autre main. Sans plus s’occuper de Castillon, Monteil
plaqua Basile contre le mur, en le tenant toujours par le cou, et de la main
qui tenait le flacon, il lui écarta les lèvres et brisa la fiole contre ses
dents.
Le teint cendré de Basile vira au blanc et ses
petits yeux reflétèrent toute la terreur du monde, tandis que Monteil le
forçait à avaler les morceaux de verre. Le chapelain tenta de hurler sous la
douleur, mais s’étouffa et cracha un flot de sang.
Profitant que le garde du corps de son frère était
occupé avec Basile et lui tournait le dos, Castillon s’était précipité vers le
fléau d’armes : un manche en bois terminé par quatre chaînes au bout
desquelles étaient accrochées de grosses boules de fer cloutées.
À peine l’avait-il détaché qu’il l’abattait de
toutes ses forces sur le dos du géant.
Celui-ci lâcha Basile et se retourna en
chancelant. Castillon frappa à nouveau, comme il l’aurait fait en pleine
bataille. Le coup déchira la face de Monteil qui tenta de hurler sans y
parvenir. Un œil arraché, le géant s’écroula en se protégeant des mains tandis
que Castillon continuait à frapper.
— Que se passe-t-il ? hurla une voix de
femme.
Le demi-frère de Hugues s’arrêta et se retourna.
C’était Baralle, à son tour réveillée par le bruit, mais tout aussi titubante
et ensommeillée que Monteil.
Castillon en resta ébloui. Jamais Baralle ne lui
était apparue plus désirable. Ses cheveux longs dénoués, elle ne portait qu’une
cotte de nuit échancrée qui ne cachait rien de ses opulentes rondeurs.
Pour la première fois, il était seul avec elle. Il
venait de tuer après une violente crise de furie, il avait encore du sang plein
les mains et, mû par un instinct bestial, il voulait rassasier ses autres
ardeurs, comme il l’avait déjà fait trois semaines plus tôt avec Madeleine Mont
Laurier.
Elle perçut la fièvre dans son regard et découvrit
le sang sur le carrelage émaillé. Son regard terrifié passa à son époux qui
dormait, drogué, et, comprenant qu’elle ne pouvait avoir aucune aide, elle se
mit à hurler désespérément.
Guilhem partageait le logis de Martial d’Arsac et
de Foulque Chabrand. Hugues des Baux en avait décidé ainsi à la fois pour
qu’ils le surveillent et qu’il apprenne d’eux le service qu’il aurait à
accomplir au château.
Leur logement était formé de deux chambres en
enfilade, au deuxième étage du bâtiment des chevaliers, entre celui de
Castillon et celui occupé par Ibn Rushd.
La première pièce, qui ouvrait sur la galerie le
long du rocher, contenait un lit à colonnes que partageaient les deux
chevaliers. Pour Guilhem, on avait seulement installé une paillasse à côté du
passage vers la deuxième salle où dormaient, dans un grand lit de bois, un
domestique, deux hommes d’armes et un sergent au service des deux chevaliers.
Ce sergent d’armes était un homme d’une trentaine
d’années, d’un caractère détestable, mais entièrement dévoué à Martial d’Arsac.
Bien que d’une taille médiocre avec un bel embonpoint, Guilhem ne le
sous-estimait pas car il avait observé, lors d’un entraînement, combien il
maniait bien la masse d’armes. À cette occasion, le sergent lui avait
d’ailleurs dit qu’il ne lui pardonnerait jamais d’avoir brisé, par traîtrise,
une jambe de son maître.
Au souper, loin de Hugues des Baux, Guilhem
n’avait pas bu de la boisson au pavot. En revanche, Arsac prenait déjà du pavot
pour calmer sa douleur et Foulque Chabrand avait bu un verre de vin au
somnifère en partageant la coupe de son voisin. Les deux chevaliers dormaient
donc profondément quand le hurlement de Baralle se fit entendre. Au bruit,
Guilhem se réveilla, saisit son épée et se précipita vers la porte, mais elle
était
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