Marseille, 1198
songea-t-il tandis que
son adversaire ensanglanté l’attrapait à la taille, cherchant à lui casser le
dos. En se débattant, Guilhem parvint quand même à lui envoyer encore un
violent coup de coude dans le flanc.
Les valets hésitaient toujours, mais voyant
Guilhem immobilisé, ils se jetèrent enfin dans la mêlée. L’un s’accrocha à ses
pieds pour le faire tomber, l’autre lui martela le dos tandis que le sergent
l’étouffait entre ses bras.
Évidemment, dans l’obscurité et avec le manque de
place, ils se gênaient mutuellement. Guilhem reçut pourtant un violent coup sur
le côté du torse et sentit une côte craquer. Submergé par la douleur, il ne se
maîtrisa plus et, tandis qu’il tentait de se dégager de l’étreinte du sergent
par un autre coup de coude, il attrapa le col du valet qui le martelait et le
serra de l’autre bras jusqu’à ce qu’il entende le craquement des os.
S’étant un peu libéré de l’étreinte de son
principal adversaire par un autre coup de coude, cette fois dans le ventre,
Guilhem se laissa volontairement basculer sur celui qui tenait ses pieds,
tombant juste à l’endroit où Chabrand avait perdu sa miséricorde. Découvrant la
poignée de la lame, il la saisit et frappa au hasard dans les chairs, taillant
n’importe où. Il sentit vite ses adversaires mollir, puis lâcher prise.
Quand il se releva, plein de sang, la lame rouge
et dégoulinante à la main, le sergent vomissait une giclée écarlate et le
second valet était mort.
Retentit alors un troisième hurlement.
À bout de souffle, la poitrine le faisant
atrocement souffrir, Guilhem s’approcha du lit où Chabrand était remonté pour
se protéger. D’une volée de main, Guilhem le jeta à nouveau par terre, arracha
les draps et prit la clef. Ensuite, il revint à sa paillasse, saisit son épée
tout en gardant la miséricorde et ouvrit la porte avec la clef. Il sortit sans
un regard pour ses affaires qu’il laissait derrière lui et ne reverrait jamais.
Il n’eut même pas une pensée pour sa fidèle vielle à roue.
Le couloir qui desservait les chambres n’était pas
totalement dans l’obscurité, car des niches creusées dans le rocher contenaient
une coupelle d’huile d’olive dans laquelle se consumait une mèche de laine. Ce
n’était bien sûr qu’une faible lueur, mais elle permettait de se diriger.
L’endroit était vide et silencieux. Apparemment personne
n’avait rien entendu ! C’était incompréhensible.
Incertain sur l’origine des cris, Guilhem
s’approcha de la porte qui permettait de passer dans la chambre de Hugues des
Baux. Retentit à cet instant un nouveau hurlement venant de l’autre côté et, cette
fois, il fut certain que c’était Baralle. En vain, il poussa la porte, mais
elle était verrouillée. Quant à tenter de l’enfoncer, c’était impossible tant
elle était épaisse et ferrée. Il se précipita donc dans les escaliers qu’il
dévala jusqu’aux arcades, puis emprunta le passage par les celliers, vers la
grande salle.
Tout en courant, épée et miséricorde en main, il
s’interrogeait. Moins sur ce qu’il ferait ensuite, car il savait que tout
retour en arrière lui était désormais interdit, mais sur ce qu’il allait
découvrir.
Baralle était battue, torturée peut-être,
martyrisée sans doute. Comme il n’y avait aucune agitation dans les couloirs,
ce n’était pas une attaque ennemie, ce ne pouvait être que Hugues des Baux qui
la suppliciait. Sans doute avait-il découvert sa proximité avec Roncelin.
Peut-être étaient-ils amants et les avait-il surpris. Cela signifiait qu’il
allait avoir Hugues des Baux en face de lui, et sans doute Monteil.
Il devrait les tuer. S’il y parvenait, il fuirait
par la fenêtre avec Roncelin, avec Baralle, en utilisant l’échelle de corde.
Seulement, ils seraient à pied. Pourraient-ils
échapper aux gens d’armes du château quand ils se lanceraient à leur
poursuite ? Lui-même avait une côte douloureuse, peut-être brisée, et il
savait qu’il aurait du mal à se battre à nouveau.
Dans la grande salle déserte, le feu se mourait
dans la cheminée. Il s’approcha de l’escalier supérieur et distingua des bruits
qu’il ne put identifier. Voyant que la trappe de la chambre était fermée, il
commença à monter les marches avec la plus extrême prudence, mais comme il
arrivait en haut, l’ouverture s’entrebâilla et un formidable coup de tonnerre
retentit.
Chapitre
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