Marseille, 1198
avec nous ce que
vous avez gagné ? s’enquit Locksley.
— Parce que c’est ma morale, répliqua Guilhem
avec un regard impénétrable.
Le silence s’installa, tant ils étaient émus par
la noblesse du troubadour que certains avaient pourtant accusé de déloyauté.
— J’échangerais volontiers ma part contre un
souper, plaisanta Bartolomeo pour mettre fin au mutisme embarrassant. Mes
entrailles souffrent de malefaim !
C’est à ce moment qu’ils entendirent le sourd
tumulte d’une lointaine galopade.
Ils se levèrent d’un même mouvement.
— Tête Dieu ! Nous ne sommes pas encore
tirés d’affaire ! s’exclama Fer.
La route se déroulait devant eux. Toute droite,
avec de profondes ornières dans le pavement romain, aussi virent-ils les
cavaliers arriver de loin. Une douzaine d’hommes équipés en guerre qui allaient
au trot, avec en tête un étendard à l’étoile aux seize rayons.
Robert de Locksley enfila rapidement son gant et
prit quelques flèches dans son carquois. Il devait y avoir cinq cents pieds
avant le premier cavalier, celui qui tenait la bannière. Le Saxon s’agenouilla
et tendit son arc jusqu’à ce que l’empennage en plume d’oie touche sa joue,
puis il lâcha la corde qui claqua. Le trait siffla en fendant l’air et le
porte-guidon tomba, atteint dans la poitrine.
Aussitôt la troupe s’arrêta et se débanda pour se
mettre hors de portée. Locksley n’avait pourtant pas tiré un second trait. Il
était content de ce coup-là, sur une si grande distance, et il ne voulait pas
courir le risque de gaspiller une précieuse flèche.
Ils virent alors un des cavaliers partir au galop
dans l’autre sens. Sans doute allait-il chercher des renforts.
— Vous feriez mieux de vous rendre !
lança une voix arrogante qu’ils reconnurent pour celle d’Arnaud de Coutignac.
— Dieu me damne ! persifla Robert de
Locksley d’une voix de stentor. Vous venez de perdre un de vos hommes et vous
nous donnez des conseils ? Ne vous a-t-on pas appris qu’il faut semer pour
recueillir ?
— Qu’espérez-vous ? D’ici deux heures,
nous serons cent ! Où pouvez-vous aller à pied ?
— Ma foi, chevalier, lança Guilhem à son
tour, nous avons déjà occis bon nombre de gens d’armes des Baux et nous ne
sommes pas meurtris. Vous nous tuerez, peut-être, mais vous serez nombreux à
nous accompagner au royaume des taupes !
— Auparavant, je vous ferai écorcher vif pour
votre forfaiture !
— Coutignac, vous m’insultez en imaginant que
je me laisserai prendre facilement quand vous êtes incapable de défendre votre
seigneur !
— Vous payerez cette insulte au
centuple ! rugit Coutignac.
— Certainement ! Demain… Plus tard… À
Pâques ou à la Trinité ! railla Guilhem. Ignorez-vous donc qu’il vaut
mieux l’œuf aujourd’hui que demain la poule ? À moins que vous ne soyez un
lâche !
— Que voulez-vous ? Dites-le-moi !
s’étouffa Coutignac, fou de rage.
— Que si vous aviez un peu de cœur, vous
n’attendriez pas d’être cent, vous défendriez votre honneur ici, en champ
clos !
— Un duel ?
— Qui parle de duel ? Que l’ordalie de
Dieu désigne le plus honorable de nous deux. Si je l’emporte, vos hommes nous
donneront des chevaux et nous laisseront partir, sinon, nous nous rendrons sans
combattre, et vous y gagnerez les cinq mille pièces d’or que j’ai pris à votre
seigneur.
L’autre parut hésitant et ne répondit pas, aussi
Guilhem glissa-t-il à Robert de Locksley :
— S’il accepte et que je succombe, ne
respectez pas ma parole et tuez-en le plus possible ! Ne laissez pas Anna
Maria entre leurs mains.
— Je relève votre défi ! répondit
Coutignac. J’accepte une joute à pied, à l’épée et au bouclier à mi-chemin
entre nous. Mais je serai avec un sergent d’armes. Comme je me méfie de votre
félonie, je veux que le comte de Huntington combatte aussi pour éviter toute
traîtrise.
— Raté ! murmura Guilhem en passant sa
main dans sa barbe, conscient qu’il avait trop sollicité sa chance.
— Proposez de remplacer Locksley, Fer, fit-il
entre ses dents. Racontez qu’il a été mordu par un des chiens. Dites que
Bartolomeo vous accompagnera avec l’arc et les flèches de Robert, puisqu’il
craint une trahison de notre part.
Fer le considéra, interloqué.
— Allez-y, faites-moi confiance !
— Je suis le viguier de Marseille, cria Fer.
C’est moi qui combattrai
Weitere Kostenlose Bücher