Marseille, 1198
identiques. Ensuite il
fit signe à ses hommes, dont l’un gardait son épée, et sortit.
En allant au port, il s’efforça d’examiner avec
sang-froid la proposition du procurateur. Elle n’avait pas que des
inconvénients pour lui, car si Hugues des Baux devenait le maître de Marseille,
il serait contraint à l’exil. Mais sous la coupe d’Ansaldi, l’avenir de la
ville marchande serait sinistre. Le commerce serait plus durement réglementé,
les juifs surveillés et l’Église toute-puissante.
Pouvait-il envisager une autre solution ?
Il songea alors que le procurateur de la confrérie
du Saint-Esprit avait bien vite trouvé un moyen pour remplacer Roncelin.
D’ailleurs il n’avait pas paru s’inquiéter de son sort. Et si Ibn Rushd avait
raison ? Si l’étoffe trouvée dans les mains de Madeleine n’était qu’un stratagème ?
Pouvait-il imaginer qu’Ansaldi ait tout organisé ? C’était difficile à
croire. Il n’aurait pu agir seul, et où aurait-il trouvé des complices ?
Il concevait difficilement que les chevaliers de l’ordre aient participé au
massacre et au viol. Quant aux autres membres de la confrérie, ce n’étaient que
des clercs et des religieux qui consacraient leur vie à aider les malades et à
soulager la misère.
C’était impossible.
Au port, sa galère n’était toujours pas là. Il
revint vers la porte du Marché, à l’extrémité de la Grand-rue, et à travers des
rues défoncées et boueuses, il se dirigea vers le portalet qui marquait
l’entrée du quartier juif qui s’étendait jusqu’à la porte de l’Annone.
Cent ans plus tôt, ce quartier se trouvait hors de
l’enceinte, car les juifs n’étaient pas autorisés à vivre dans la commune. Mais
lors d’un agrandissement de la ville, la muraille avait été déplacée et le
quartier juif s’était retrouvé dans la cité. Il avait même été coupé en deux
quand Marseille avait été séparée en ville haute et ville basse. Depuis, il
avait gardé l’enceinte qui le ceinturait et son portail, mais celui-ci n’était
jamais fermé.
Les rues étaient étroites. Il passa devant le bain
des femmes et une école, puis tourna près de la synagogue dans la Carreria Judeorum. Botin habitait une maison de pierre sans aucune ouverture en façade sinon deux
hauts fenestrons protégés d’épaisses grilles et, bien sûr, d’une porte bardée
de fer et hérissée de clous à dos carrés.
L’un des esclaves de Hugues tira la chaîne de la
cloche placée dans une niche du mur et on l’interrogea à travers un judas
grillagé. Ayant reconnu le viguier, le portier s’empressa d’ouvrir.
Hugues connaissait la maison. Laissant les
esclaves dans une sombre antichambre meublée seulement d’une table couverte
d’un tapis – là où Botin recevait ses clients –, le concierge le fit
entrer dans la salle d’apparat ouverte sur un grand jardin entouré de murs
élevés.
Botin était avec ses deux filles, Rachel et
Myriam, ainsi que trois de ses petits-enfants. Voyant entrer son ami, il leur
demanda aussitôt de se retirer.
La pièce était lumineuse, avec trois belles
fenêtres en plein cintre qui possédaient des carreaux de verres de Venise
sertis dans du plomb, un luxe rare que Fer ne s’était offert que pour un
fenestron de sa chambre.
Chaque fois qu’il entrait chez Botin, Hugues avait
l’impression de se retrouver en Orient. Les murs étaient tendus de tapisseries
de soie brodées avec des fils d’or et, tout autour de la salle, courait une
banquette de bois de rose couverte de coussins de toutes tailles et de toutes
couleurs.
Sur une table basse étaient posées deux lampes de
bronze garnies d’huile parfumée et un grand candélabre d’argent à sept
branches, une menora, supportait de grands cierges de cire, tous allumés.
Le banquier juif le fit asseoir et rappela une de
ses filles pour qu’elle serve à boire, ensuite le viguier raconta la réunion du
conseil.
— Que la lèpre d’Égypte ronge Ansaldi !
s’exclama le prêteur juif. Cet homme n’apportera que le malheur dans cette
ville ! Il veut reconstruire les barrières, séparer les hommes de bonne
volonté uniquement à cause de leur religion ! Il a déjà décidé d’un
nouveau vicomte alors même que Roncelin est toujours vivant !
— Je l’espère… Mais il propose la sécurité.
Les marchands préféreront son joug plutôt que celui de Hugues des Baux.
— Notre peuple n’a jamais connu la
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