Marseille, 1198
dois le rejoindre, mais puis-je arriver
chez lui sans armes, sans soldats et sans argent ?
— Vous pourriez recevoir de l’argent
d’Angleterre, suggéra Ibn Rushd.
— Vous croyez ?
— Allons voir Botin demain, proposa Fer. Il a
certainement des amis banquiers dans votre pays. D’une façon ou d’une autre, il
pourra vous prêter ce dont vous avez besoin.
Le lendemain, Fer accompagna donc Locksley chez
Botin, en compagnie d’Ibn Rushd qui souhaitait revoir le prêteur juif. Après
avoir vérifié qui ils étaient par le guichet de la porte d’entrée, un esclave
noir les fit passer dans une antichambre éclairée par une petite lampe
d’argent, puis dans la grande salle, toute parfumée de myrte et d’aloès, où
Botin était seul, consultant un registre, debout devant un lutrin. Après chaque
passage, l’esclave avait soigneusement refermé derrière eux les portes aux
verrous, comme s’il les conduisait au fond d’une prison.
— Que la bénédiction de Jacob descende sur
vous ! lança le juif quand Hugues de Fer lui eut présenté Locksley.
— Mon ami a besoin d’acheter un haubert, des
chevaux, et d’équiper une vingtaine d’hommes dont la moitié de cavaliers. Il
est comte en Angleterre, et riche, mais on l’a volé, il y a quelques jours.
Pouvez-vous l’aider par un prêt ? demanda le viguier.
— C’est possible, mais ce sera long, répondit
Botin après un instant de réflexion. Vous comprenez que j’ai besoin de
garanties. Où sont vos terres ?
— Huntington est aux marches du pays de
Galles, près de Hereford.
— J’ai un compatriote à Leicester qui se
nomme Kirgath Jaïram. Avez-vous quelqu’un qui s’occupe de votre domaine ?
— Bien sûr, j’ai aussi mon beau-frère.
— Vous pourriez lui faire une lettre sur un
parchemin, lui demandant de déposer l’argent qui vous est nécessaire chez
Kirgath Jaïram. Ensuite, celui-ci m’écrira et je vous remettrai la somme
équivalente. De combien avez-vous besoin ?
— Trois cents sous d’or, au minimum.
— C’est beaucoup, mais c’est possible si
votre beau-frère peut les apporter.
— Il le fera, ne vous inquiétez pas. Tout
cela prendra combien de temps ?
— Il m’est difficile de vous répondre. Je
peux donner votre lettre à des marchands qui partent demain pour Lyon et qui la
remettront à l’un de mes cousins. Celui-ci la fera passer à des gens de
confiance qui se rendent à Paris. De là, votre lettre ira en Normandie, puis à
Londres et enfin à Hereford. La dernière fois que j’ai écrit à Londres, cela a
pris plus de trois mois. Donc, vous n’aurez pas de réponse avant six ou huit
mois.
Locksley resta silencieusement contrarié. Mais
avait-il le choix ? C’était ça ou partir sans rien pour rejoindre Richard.
Avec l’argent qu’il lui restait, il aurait déjà du mal à vivre plus de six
mois. Il allait devoir changer d’auberge et se nourrir de bouillie, mais Robin
Hood avait connu pire.
— Je vais vous faire cette lettre, dit-il.
Avec ses deux esclaves, Hugues de Fer se rendit
ensuite au castrum Babon chez sa pupille Alice. Il avait jusqu’alors repoussé
cette visite autant qu’il le pouvait.
Alice vivait avec une dizaine de domestiques, une
gouvernante et un intendant. Si son père avait mis en gage sa part de la
vicomté, il lui avait tout de même laissé quelques censives qui lui rapportaient
suffisamment pour vivre comme une héritière fortunée. C’était d’ailleurs Hugues
qui administrait ses biens.
Bien qu’elle n’eût que dix ans, la jeune fille
avait déjà un caractère bien trempé. Elle se savait vicomtesse et tenait à son
rang. En recevant son tuteur, elle lui reprocha en premier lieu de ne pas venir
la voir assez souvent, ajoutant qu’elle avait heureusement son cousin Roncelin
qui lui rendait visite presque tous les jours.
Elle lui demanda ensuite s’il avait des nouvelles
de lui, car elle avait appris qu’il était malade. Hugues resta évasif et elle
parut s’en contenter, lui montrant un poème écrit sur un papyrus par un clerc
de Raymond des Baux. Elle ajouta combien elle avait hâte de se marier avec lui.
Raymond avait son âge et les noces étaient prévues pour dans quatre ans.
Ils étaient dans le jardin en terrasse surplombant
les remparts et la mer. Hugues de Fer était debout. Ayant terminé de lire le
poème, il regarda un moment les vagues se briser en bas de l’enceinte et se dit
que le moment était
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