Marseille, 1198
taille et une arbalète sur le dos, leur demanda où ils allaient.
— Je veux tirer une flèche sur l’autre rive,
répondit Locksley, en désignant la tour en face. Mon ami ne croit pas que j’en
sois capable.
Il désigna des pieux plantés sur la rive opposée,
bien au-delà de la tour Saint-Nicolas.
— À quelle distance sont-ils, selon
vous ? demanda-t-il à Guilhem.
— Certainement six cents pieds. Vous ne les
atteindrez pas, personne ne peut y parvenir. Tirez plutôt sur ceux devant la
chaîne, mon pari tiendra aussi avec ceux-là. Même un bon arbalétrier aurait du
mal à les toucher.
— Vous plaisantez, gentil troubadour !
Ils ne sont pas à trois cents pieds ! s’esclaffa le Saxon qui semblait
s’amuser beaucoup.
Les arbalétriers s’étaient rassemblés pour voir le
spectacle. Tous portaient camail et cervelière. Locksley s’adressa à eux.
— Qui de vous a touché les pieux devant la
tour Saint-Nicolas ?
— C’est trop loin, seigneur. Ce n’est pas
possible avec nos arbalètes, répondit leur sergent.
— Vous voyez, ils n’y parviennent pas !
fit Guilhem.
Locksley détacha la boucle de son baudrier, posa
son fourreau d’épée, puis son carquois. Il sortit une corde de soie, plia l’arc
en s’aidant de son genou gauche et accrocha la corde. Il tira ensuite un
demi-gant de peau de sa cotte et un brassard en cuir qu’il serra sur son bras
gauche. Pendant ce temps, les arbalétriers examinaient ses flèches. Taillées
dans du peuplier, elles étaient très lourdes avec une pointe de fer aiguisée et
un long empennage en plume d’oie.
Le Saxon en prit cinq de la main droite, il
attrapa en même temps la corde de soie et, avec une agilité incroyable, il fit
basculer une des flèches à l’horizontale.
Le silence se fit, tandis qu’il se concentrait sur
les pieux verdâtres couverts de mouettes. Soudain il tendit la corde jusque
derrière sa joue, il y eut un claquement et la flèche partit. Guilhem la suivit
des yeux. Elle se dirigeait droit sur l’un des pieux. Il entendit un nouveau
claquement et détourna son regard vers l’arc. Locksley avait déjà inséré une
troisième flèche. Guilhem revint vers les pieux. Les mouettes s’étaient
envolées et une flèche était plantée sur l’un d’eux. Il vit la deuxième se
ficher en vibrant, puis il suivit la fin de la course de la troisième et la vit
se planter contre les deux précédentes. Déjà il y avait eu un nouveau
claquement. Cette fois, il ne quitta pas des yeux le trait qui se ficha avec
les autres. Puis ce fut le dernier, mais Guilhem ne doutait plus du résultat.
Combien de temps s’était-il écoulé ? Moins que pour dire la première
strophe d’un Notre Père [36] !
Locksley se tourna vers Guilhem tandis que les
arbalétriers éclataient en vivats.
— Je m’incline, dit Guilhem. Je suis
stupéfait. Ce sera un honneur pour moi de vous loger !
Le lendemain, il se rendit au palais comtal. Lors
du souper, après qu’il était allé en barque récupérer ses flèches, Locksley lui
avait parlé de son écuyer qui lui avait volé ses armes, ses chevaux et son
riche butin rapporté de Palestine. Il lui avait expliqué qu’il était immobilisé
à Marseille, attendant de recevoir de l’argent d’Angleterre, à moins qu’un
croisé, rentrant de Palestine, ne le connaisse suffisamment pour lui prêter de
quoi s’équiper. En revanche, Guilhem resta évasif sur sa vie, comme si elle ne
présentait aucun intérêt.
Au palais, où il se présenta comme troubadour
cherchant un engagement, l’intendant lui répondit que le seigneur Roncelin
était malade et était parti à sa maison d’Aubagne. Il ne recevrait pas de
visites.
Que devait-il faire ? Attendre le retour de
Roncelin ou revenir aux Baux et tenter de se faire engager comme
chevalier ?
Un doute le taraudait. Roncelin était-il vraiment malade,
ou avait-il quitté Marseille pour traiter avec Hugues des Baux ? Pire… et
s’il avait été fait prisonnier et qu’on le cache aux Marseillais. N’avait-il
pas cru voir un homme attaché au pommeau d’une selle, dans la troupe de
Castillon qui revenait de Marseille ?
L’absence du vicomte, au moment où Hugues des Baux
disait traiter avec lui pour acheter ses droits sur la ville, ne pouvait être
une coïncidence. Il décida donc de rester quelques jours. Le vicomte ne pouvait
s’absenter longtemps de la ville, ou alors c’est que la situation était grave.
Il prit
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