Marseille, 1198
avait la figure d’un trentenaire mais il était ventripotent comme un
quinquagénaire. Son caractère violent s’affichait sur son visage sanguin et ses
yeux noirs, profondément enfoncés sous des arcades proéminentes, accentuaient
cette impression. Le chapelain Basile, en robe de bure serrée par une
cordelière, trottinait derrière lui, les yeux baissés mais attentifs.
— Mon frère, j’ai appris que tu as des
invités, s’exclama le nouveau venu.
— Ah ! Rostang ! Je t’attendais.
Voici l’honorable Ibn Rushd, un grand médecin d’Orient. Nous parlions justement
de toi !
Ibn Rushd devina que le nouveau venu était
Castillon.
— Tu as déjà un médecin, et Basile a étudié
les plantes à Montpellier. Et lui, au moins, peut prier Notre Seigneur pour
toi, railla-t-il. C’est quelque chose que ne peut pas faire un infidèle !
À ces mots insultants, Ibn Rushd s’inclina avec
humilité.
— Mais ni Basile ni mon médecin ne me
guérissent, hélas ! Reste ce soir, nous parlerons. Les troubadours seront
là et je suis sûr que tu apprécieras le spectacle.
— Mordieu, j’en suis certain, s’esclaffa
Castillon avec un rire désagréable, mais en attendant, j’ai envie de rencontrer
l’Anglais qui est avec lui.
Il désigna Ibn Rushd avec un regard mauvais.
— Voulez-vous que j’aille chercher le sire de
Locksley, seigneur ? demanda l’ancien cadi.
Castillon regarda son frère qui hocha la tête sans
rien laisser paraître de ce qu’il pensait. Après s’être incliné, Ibn Rushd
sortit, mal à l’aise. Il avait ressenti des non-dits inquiétants dans l’échange
entre les deux frères.
Guilhem arriva dans la basse-cour quand la troupe
faisait demi-tour. Il n’eut que le temps de s’écarter avec Bartolomeo pour
éviter d’être piétiné par les chevaux. Pourquoi Castillon était-il venu avec
tant d’hommes pour repartir si vite ?
Il passa le pont-levis et, en voyant le cheval à
la bardiche, il comprit que le frère de Hugues des Baux était toujours là. Ce
qui se passait était déroutant, et il n’aimait pas ce qui était inattendu.
Il aperçut Locksley avec le Perse et s’approcha
d’eux avec servilité. Bartolomeo l’imita.
— J’accompagne notre serviteur qui a besoin
d’herbes. Venez-vous avec nous ? proposa Robert de Locksley.
Guilhem comprit que le Saxon avait besoin de lui
parler. Il acquiesça d’autant plus que lui-même voulait lui raconter l’arrivée
de Castillon.
Ils passèrent dans la basse-cour et Bartolomeo
s’éloigna avec Nedjm Arslan pour lui montrer les carrières qu’ils avaient vues.
Cheminant à l’écart, Locksley expliqua son plan et la proposition qu’il avait
faite à Anna Maria.
— Je partage ton avis, approuva Guilhem. Il
est préférable qu’ils s’en aillent. Je me disputerai avec elle devant tout le
monde pour prétexter notre séparation. Si Arslan peut préparer ses pots à feu
rapidement, nous pourrions agir la nuit prochaine. Le soleil est haut. Je vais
chercher les miroirs qu’Ibn Rushd m’a laissés et essayer de prévenir Fer qu’il
aura de la visite demain. Je me mettrai sous ces arbres.
Il désigna un groupe d’oliviers derrière l’église
Saint-Blaise où il pourrait s’asseoir à l’ombre sans qu’on le remarque.
Locksley revint au château pour prévenir Anna
Maria mais il rencontra en chemin Ibn Rushd qui le cherchait.
— Castillon est avec son frère. Ils veulent
vous rencontrer.
— Je vous retrouverai dans notre chambre,
répondit Locksley en se rendant à la convocation.
Il monta dans les appartements du seigneur des
Baux. À peine entré, un homme corpulent, debout près du lit, lui lança
agressivement, la main sur son épée :
— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qui vous
prend d’entrer ici ?
— Laisse, Rostang, c’est le comte de
Huntington, dit Hugues des Baux.
— C’est vous l’Anglais ?
Locksley eut l’impression que Castillon était déçu
de ne pas le connaître. S’attendait-il à quelqu’un d’autre ?
— Je suis saxon, fit sèchement Locksley.
Un silence hostile s’installa jusqu’à ce que
Hugues des Baux déclare d’une voix fatiguée :
— Rostang de Castillon est mon frère.
— Loué soit Jésus-Christ de me permettre de
vous rencontrer, fit Locksley d’un ton égal en inclinant le torse.
— À jamais, ainsi soit-il, répliqua
Castillon, un peu amadoué. Mon frère m’a dit que vous étiez croisé.
— En effet, je
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