Marseille, 1198
participer à
cette expédition. Leur intérêt était de libérer le comte de Marseille pour lui
remettre cette lettre, mais pour en être certain, il faudrait qu’il la lise. Il
hésita à la garder par-devers lui. Comment l’ouvrir sans qu’on s’en
aperçoive ? Il entendit soudain la voix d’Anna Maria et de Bartolomeo dans
la rue et remit le quareignon dans le psaltérion dont il ferma les verrous,
puis il posa l’instrument où il l’avait pris et s’allongea sur sa paillasse.
La porte s’ouvrit et les deux Italiens entrèrent.
— Vous arrivez à pic, sourit Guilhem. Et si
nous préparions notre spectacle pour le souper ?
Chapitre 22
L a
cloche avait appelé au souper quand Robert de Locksley, Ibn Rushd et Nedjm
Arslan pénétrèrent dans la grande salle ogivale. Les familiers et des
serviteurs du château attendaient déjà le maître de maison et sa dame, car il
ne fallait pas arriver après eux.
Pour l’occasion, le Saxon avait revêtu sa tunique
de croisé au léopard d’Angleterre sur une robe longue, et sa lourde épée était
serrée à la taille. Il salua Dulceline de Cavaillon avec courtoisie, puis
échangea quelques mots avec son époux qui l’interrogea sur la cour du roi
Richard.
Pendant ce temps, Ibn Rushd, couvert d’un manteau
de drap écarlate doublé de martre et d’un bonnet de même matière finement
brodé, circulait dans la salle en examinant les culots sculptés des ogives des
voûtes. Certains étaient ornés d’écussons armoriés avec l’étoile des
Baussenques, d’autres montraient saint Michel terrassant le dragon, d’autres
encore représentaient des griffons ou des têtes de saints.
Les invités continuaient à arriver. Sachant qu’il
y aurait de nobles étrangers et des jongleurs, tous avaient revêtu leurs plus
beaux habits. Beaucoup d’hommes étaient en robe avec épée ou miséricorde
suspendues par de riches baudriers sertis d’argent.
Les femmes portaient des bliauts tissés de soie,
brodés, lacés et galonnés d’or.
Soudain les bruits des conversations baissèrent
d’un ton. Suivi du chapelain Basile, Rostang de Castillon pénétra dans la
salle. Enveloppé dans un rude manteau de serge noire garnie d’une fourrure de
renard, il en déboucla les aiguillettes d’or en balayant la pièce d’un regard
arrogant. De lourds bracelets d’argent, grossièrement ciselés, serraient ses
poignets et une large torque du même métal ornait son cou. Sous son manteau, sa
tunique écarlate s’arrêtait aux genoux dévoilant des trousses de la même
couleur. Il était chaussé de courtes heuses avec des éperons de cuivre en
pointe. À la taille, une ceinture cloutée d’argent supportait une longue épée
droite à deux tranchants.
Les chevaliers s’approchèrent pour lui rendre
hommage, tandis que les domestiques allumaient les flambeaux de résine, les
falots et les chandelles de suif du grand lustre de fer en forme de roue qu’ils
avaient descendu par sa chaîne. D’autres valets et des esclaves répandaient des
brins de romarin sur la paille, évitant de déranger les molosses qui
sommeillaient près du feu. Ibn Rushd n’avait jamais vu de chiens si gros :
c’étaient des dogues d’Aquitaine au museau plissé, à la truffe large et aux
mâchoires puissantes.
Les hommages terminés, Castillon s’avança dans la
salle et son regard croisa soudain celui de Robert de Locksley. Aucun des deux
ne baissa les yeux. Bien que silencieux, ce fut un échange d’une telle violence
qu’une nouvelle querelle aurait pu éclater si Monteil n’était apparu,
descendant lentement les marches de l’escalier de bois. Impavide comme
toujours, le géant sombre portait à deux mains sa lourde masse d’armes.
Derrière suivait Baralle.
La dame des Baux était habillée d’une jaquette de
soie rose pâle sur laquelle elle avait passé une longue robe flottante de laine
finement tissée qui descendait jusqu’à ses pieds. Un voile de soie et d’or
couvrait ses épaules. Bien qu’elle soit l’épouse d’un homme qu’il considérait
comme son ennemi, Robert de Locksley ne put s’empêcher de l’admirer. Baralle
n’ignorait pas que sa beauté et sa grâce pouvaient faire naître la passion,
aussi savait-elle rejeter les hommages qui l’indisposaient. Tandis que ses yeux
croisaient le regard brûlant de Rostang de Castillon, elle releva avec dignité
son voile sur ses cheveux pour montrer à son beau-frère combien sa hardiesse
lui
Weitere Kostenlose Bücher