Mathieu et l'affaire Aurore
Devons-nous attendre le retour de ton chaperon ?
demanda Mathieu.
— Non, je n’en aurai pas, aujourd’hui.
La directrice, après une nuit de sommeil, s’était résolue à cette démonstration de confiance.
— Je te présente ma sœur, Thalie.
Celle-ci s’assit sur ses talons. Petite, dans cette posture, l’autre la dépassait maintenant d’une tête.
— Bonjour, Marie-Jeanne.
— ... Bonjour.
— Nous allons nous asseoir dans ce beau jardin pour parler un peu. Mathieu a apporté un livre. Il va nous laisser tranquilles.
Le sous-entendu tira un sourire à la fillette.
— Si tu es d’accord...
Marie-Jeanne acquiesça d’un hochement de la tête. En se relevant, Thalie lui tendit la main. La fillette demeura interdite, puis tendit finalement la sienne. «Ce geste l’a totalement prise au dépourvu», se dit le jeune homme. Ensuite, il les regarda se diriger vers le banc placé un peu à l’écart.
Pour ne pas sembler jouer à l’inquisiteur, Mathieu trouva un siège un peu éloigné, sortit de la poche de sa veste un petit traité sur le droit des successions. Toutefois, incapable de se concentrer, ses yeux emmêlaient les lignes, son esprit, les concepts. Régulièrement, son regard se portait sur les jeunes filles, la petite et la grande. Successivement, il vit la première livrer un récit, pleurer parfois, rire moins souvent.
Il s’écoula une bonne heure avant qu’elles reviennent vers lui, toujours en se tenant par la main.
— Nous avons eu une bonne conversation, je pense.
Des yeux, Thalie consulta sa compagne, qui hocha gravement la tête.
— As-tu dit à ma sœur des choses qu’elle pourra me répéter ?
Marie-Jeanne articula un «Oui» bien timide.
— Et d’autres qui sont des secrets entre filles, précisa l’étudiante en médecine. Je ne les répéterai jamais, à personne.
Le ton sans équivoque, souligné par un clin d’œil complice, rassura la fillette.
— Je reviendrai cette semaine, dit Mathieu, et je te poserai les questions de mon patron. Lui voudra obtenir la vérité. Ensuite, je te poserai d’autres questions plus pénibles, en essayant de deviner comment Francœur va t’aborder au procès. Tu comprends ?
Cette fois, des larmes perlèrent à la commissure de ses yeux. Donc, elle comprenait.
— Ce sera difficile. Très difficile. A chaque moment, tu te souviendras que je ne veux pas te faire du mal, bien au contraire.
— Parce que tu es mon ami.
— Oui, je suis ton ami.
L’affirmation sembla la rasséréner un peu. Le jeune homme ne savait plus trop comment clore la conversation.
D’une certaine façon, l’arrivée de la directrice lui fournit une heureuse diversion.
— Je vous surveillais depuis ma fenêtre, déclara-t-elle d’emblée.
« Pour la confiance, songea Mathieu, on repassera. »
Comme si elle devinait le cours de ses pensées, la religieuse précisa :
—Sans autre intention que le désir de me faire présenter votre sœur, monsieur Picard.
Les joues un peu rougissantes de se voir si facilement percé, il Commença :
— Ma mère, voici Thalie. Thalie, mère Saint-Emilien.
Elles échangèrent une poignée de main maladroite.
— Mademoiselle, votre destinée promet d’être enivrante.
— ... Ce n’est pas encore une destinée. Tout au plus une aspiration.
— Vous n’en croyez rien n’est-ce pas ? Vous vous savez appelée à briser les conventions.
Mère Saint-Emilien laissa échapper un long soupir, comme si le péché d’envie la tenaillait un peu, puis elle retrouva son entrain en se tournant vers l’enfant.
— Quand tu auras fini, Marie-Jeanne, va rejoindre tes camarades à la salle de récréation.
— Oh ! Nous en étions à nous dire au revoir, commença Thalie.
De nouveau, elle s’assit sur ses talons pour être à la hauteur de son interlocutrice.
— Marie-Jeanne, viens me faire la bise.
Elle s’exécuta timidement. La visiteuse retint ses mains dans les siennes pour ajouter dans un souffle :
— Je te souhaite beaucoup de courage, mais je te promets, après, ici ce sera plus léger.
Sur ces mots, elle toucha sa propre poitrine de la main.
Puis, elle se leva et gagna l’allée de son pas dansant, marcha vers le trottoir.
— Vous ne devez pas vous ennuyer, dans votre famille, dit mère Saint-Emilien en la regardant s’éloigner. Un cœur immense loge dans ce petit corps.
— Le portrait de son père, ricana le frère aîné, avec de petites touches de maman.
Si la religieuse
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