Mathieu et l'affaire Aurore
guère le jeune homme. Lui-même avait connu ce genre de situation.
— Tu accepteras de répéter cela au tribunal ?
Elle hocha la tête avec gravité, puis demanda d’une toute petite voix :
— Tu crois qu’ils vont me punir? Je n’ai rien fait pour l’aider.
— Non. Personne ne te punira, ni tes frères d’ailleurs.
Tu es encore une enfant, tu n’as rien à te reprocher dans cette histoire.
Ses grands yeux bruns ne quittaient pas les siens. Il y voyait son désir de le croire, et en même temps un profond scepticisme.
— Tu dis cela parce que tu ne sais pas tout.
— Tu sais ce que cela signifie, faire confiance à quelqu’un ? Fais-moi confiance.
Son regard exprimait l’incertitude.
— Je l’ai fait moi aussi... avoua-t-elle. Je veux dire...
maltraiter Aurore.
A la fin, le désir de se confier l’emporta. Pendant de longues minutes, elle lui raconta son voyage au bout de l’enfer. La nausée s’empara de Mathieu, il songea à s’enfuir.
— Je me sens un peu fatiguée, conclut-elle après un long exposé.
Ses confidences se terminaient de nouveau sur ces mots.
— Allons-y, dit-il en se levant. La prochaine fois, je t’expliquerai comment cela se passe au tribunal. Aujourd’hui, ton ange gardien paraît sur le point de s’endormir sur son banc.
Marie-Jeanne regarda en direction de la religieuse, prête à pouffer de rire. Le changement d’humeur soudain lui rappela combien elle demeurait une enfant, prête à s’amuser de tout.
— Ma sœur, prononça-t-il à haute voix. Nous rentrons.
La religieuse sursauta légèrement, rougit de ce rappel à son devoir.
Lorsqu’ils
pénétrèrent
dans
le
couvent,
ils
trouvèrent la sœur portière penchée sur un seau, une serpillière à la
main.
Marie-Jeanne
s’arrêta
un
moment,
puis
murmura :
— Le médecin qui a ouvert Aurore...
— Le docteur Marois, celui qui a fait l’autopsie ?
— Oui. Il a dit que son estomac était tout rouge.
La fillette se souvenait fort bien du témoignage du docteur, à l’enquête du coroner. Après avoir vu, au cours de sa vie, de nombreux animaux éviscérés avant de les manger, l’allure d’un estomac et son contenu ne faisaient pas mystère pour elle.
— Tu as raison. Il a pensé qu’elle avait peut-être avalé un produit irritant.
Mathieu, par délicatesse, avait évité de parler de poison.
— Tu crois que du Lessi, c’est un produit irritant?
— ... Je ne sais pas.
Il s’agissait d’un produit nettoyant, utilisé parfois pour laver les planchers, d’autres fois, le linge. Le jeune homme ne comprenait pas du tout cette nouvelle direction de la conversation. Elle s’occupa de clarifier la situation tout de suite.
— Maman lui en a fait manger à quelques reprises. Elle disait: «Aurore, viens manger du bon candy. »
La tête de l’étudiant tourna un peu. Chaque détour de la conversation l’amenait à une nouvelle découverte.
— Va rejoindre tes camarades, chuchota-t-il. Nous nous reverrons demain.
— A bientôt.
La jeune religieuse leur servant de chaperon sortit pour la première fois de son mutisme.
— Viens avec moi. Les classes ne sont pas finies.
Il les regarda s’engager ensemble dans le couloir.
— Ma sœur, dit-il en se penchant vers la portière, j’aimerais échanger quelques mots avec la directrice.
— Je ne sais pas si...
— Moi, je vous parie que oui.
La vieille femme ne parut pas vouloir s’engager dans un jeu de hasard.
*****
Mère Saint-Émilien le reçut sans tarder dans son bureau.
— Je croyais avoir vu l’enfer, relata le jeune homme en prenant place sur une chaise à son invitation. Je me rends compte qu’il peut revêtir des formes multiples, toujours terribles, malgré les différences.
— Vous parlez de la guerre ?
Machinalement, le regard de Mathieu se porta sur son doigt manquant. La main sur le bras de son siège exposait son absence dans toute sa nudité.
— Non ! répondit la religieuse à sa question muette. Ce genre d’accident arrive bien souvent dans une ferme, dans un atelier. On devine votre passé à votre posture, à votre façon de marcher.
Des yeux, elle examina le jeune homme, apprécia le désarroi sur son visage. Plutôt que de se rasseoir, elle se dirigea vers une petite armoire tout en cherchant une clé au fond de sa poche.
— Vous ne devez pas être du genre à me dénoncer, je crois. Dieu seul pourra vraiment vous apporter la paix, mais en attendant, ceci vous aidera
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