Mathieu et l'affaire Aurore
répliqua l’avocat en affichant un air étonné.
— Je l’ai fait.
Afin de demeurer dans son cloaque, le procureur de Marie-Anne Houde se perdit un long moment dans le contenu des intestins et l’état de l’estomac. Ensuite, l’échec de Marois à prélever de l’urine lui permit un autre sous-entendu relatif
à
son
incompétence.
Car
maintenant,
le
praticien ne pouvait plus soutenir hors de tout doute l’absence de diabète. Et, chacun le savait, cette maladie entraînait parfois des plaies aux jambes.
Francœur changea encore de sujet :
— Avez-vous examiné le foie ?
— Oui.
— Etait-il gros ?
— Pas plus gros qu’à l’état normal.
Le médecin ne paraissait même pas deviner la suite de l’interrogatoire. L’autre referma son piège.
— L’avez-vous pesé?
— Je ne l’ai pas pesé, je n’avais pas de balance.
— Vous n’aviez pas de balance ?
Francœur fit encore un tour complet sur lui-même, comme pour prendre tout le monde à témoin : la foule, les journalistes, les jurés. Pareille négligence dépassait les bornes.
Il enchaîna ensuite sur les reins, la vésicule biliaire, la plèvre. Chacun écarquillait les yeux, se demandant bien comment autant de pièces mystérieuses pouvaient entrer dans le corps humain. Puis, le cœur retint son attention. Le médecin
confessa
avoir
vérifié
l’état
des
valvules
en y insérant ses doigts, plutôt qu’en utilisant le procédé
« hydraulique ».
— Tout le monde procède de cette façon, s’emporta le médecin, pressentant le reproche. Vous parlez de procédures utilisées dans des lieux très modernes. Même dans les hôpitaux de Québec, nous n’avons pas tous ces appareils.
Moi, j’étais dans un soubassement d’église, je travaillais à la lueur de lampes à l’huile. Vos questions tiennent de l’enfantillage. Je suis satisfait du travail que j’ai fait, vous n’avez pas le droit de m’accuser d’incompétence.
— Ce n’est pas ça que je veux dire, formula l’avocat prudemment.
— C’est là où vous voulez en venir...
— Vous venez d’admettre d’une façon claire qu’il vous était impossible de faire, avec vos ressources et vos moyens, une autopsie complète qui permette aujourd’hui de dire hors de tout doute que la victime est morte à la suite des blessures observées sur elle.
Si l’avocat ne portait pas des accusations formelles d’incompétence, il tissait sa toile avec une habileté consommée.
Le doute habiterait dorénavant tous les esprits.
— Elle n’est certainement pas morte d’une autre cause que celle que j’ai dite, grommela Marois.
— Comment pouvez-vous le dire, docteur, puisque vous admettez vous-même le caractère nécessairement incomplet de l’autopsie, que ce soit à cause de l’insuffisance des moyens ou à cause des examens que vous reconnaissez ne pas avoir faits ?
— Aucun de mes collègues, y compris ceux qui ont écrit tout cet interrogatoire à votre place, n’aurait fait mieux que moi. Mon autopsie n’est pas incomplète, elle n’est pas insuffisante. Mon rapport donne la cause véritable de la mort.
Mathieu avait remarqué la présence d’un trio de médecins dans la salle. Ils seraient prêts à venir témoigner en défense pour exposer leurs savantes théories sur la mort de la victime.
— Cette
prétention
est
insoutenable,
commenta
Francœur.
Bredouillant, Marois voulut reprendre tout son plaidoyer.
L’avocat l’interrompit pour demander:
— Vous prenez sur vous de jurer que l’enfant n’a pas pu mourir d’une autre cause que celle que vous avez mentionnée ?
— Je jure que l’enfant n’est pas morte d’autre chose que de ses blessures.
— Pour ça, vous vous basez sur votre autopsie incomplète ?
— Je me base sur l’autopsie suffisamment complète que j’ai faite pour constater qu’il y a eu mort violente, se défendit encore ce dernier. Mon autopsie est complète.
L’avocat secoua la tête, contempla encore une fois le médecin obstiné avant de conclure à l’intention du juge :
— Je n’ai pas d’autres questions, Votre Honneur.
Mathieu consulta son patron des yeux, alors qu’Albert Marois quittait la salle dans un murmure réprobateur. Le climat différait maintenant totalement de celui du matin.
— Non, souffla Fitzpatrick, on ne revient jamais à la charge après le contre-interrogatoire d’un témoin expert.
Ce serait admettre avoir été battu. Vous comprenez maintenant
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