Mathieu et l'affaire Aurore

ce que je voulais dire à l’ouverture du procès. Ce gars est redoutable. Votre petite fille devra survivre à l’orage et convaincre les jurés.
    Le jeune homme se promit de lui consacrer ses prochaines soirées.
    Quant
    à ses
    examens
    prévus
    dans
    deux
    semaines, il devrait s’en remettre à la grâce de Dieu. Pour un agnostique, cela n’avait rien de rassurant.

    *****
Tout le reste de l’après-midi fut consacré à l’interrogatoire du détective Lauréat Couture. Guidé par les questions de Fitzpatrick, il navigua sans encombre de son premier à son dernier voyage à Sainte-Philomène-de-Fortierville.
    En se levant pour le «transquestionner», Francœur se montra bien moins fougueux qu’avec le précédent témoin.
    L’assurance virile du policier et sa faculté de recourir au
    « gros bon sens » séduisaient les membres du jury. De plus, sa précédente altercation avec ce monsieur lui avait laissé un souvenir amer. Tout au plus chercha-t-il à lui faire préciser comment il avait recueilli les pièces à conviction.
    À la fin, l’avocat préféra feindre d’être satisfait de l’ensemble des initiatives de l’enquêteur.
    Lors de l’ajournement jusqu’au lendemain, les spectateurs quittèrent
    les
    lieux
    dans
    un
    bourdonnement
    de
    conversations agitées. Mathieu put poser la question lui démangeant l’esprit depuis trois heures.
    — Malgré tous ses sous-entendus, Francœur n’a certainement pas pu remettre en cause la validité des conclusions de l’autopsie, n’est-ce pas ?
    — Sauf quelques médecins, personne dans cette salle n’a rien compris à cet échange. L’avocat a semé le doute sur Marois. Au fond, tout ce cirque se limite à une question de confiance envers les personnes. Les jurés ne peuvent plus se dire à son sujet : « Lui, il sait ce dont il parle, je le crois. »
    — Cela rend le verdict totalement aléatoire...
    — Maintenant le sort du procès repose entre les mains de votre petite protégée. Ils devront se dire: «Elle, je la crois ! »
    Le garçon retourna sur-le-champ à Lévis, afin d’avoir une longue conversation avec Marie-Jeanne.

    *****
    Le lendemain matin, le mercredi 14 avril, Mathieu eut la bonne idée d’arriver très tôt devant la salle d’audience.
    Ce genre de précaution coûtait peu à un insomniaque.

    Pourtant, il découvrit une pagaille encore plus grande que la veille. Les journaux en avaient dévoilé assez pour faire comprendre combien ce procès se révélait inédit.
    Le stagiaire avait toutefois pris l’habitude de jouer des coudes, sa progression jusqu’à la table de la poursuite lui permit d’en être le premier occupant. L’équipe de la défense arriva ensuite. Ignorant ses salutations, les deux hommes tinrent un
    conciliabule,
    puis
    Francœur
    parcourut
    l’allée
    centrale de la salle d’audience. L’air fâché, il s’autorisa même à monter dans les galeries. Sa toge lui octroyait une déférence suffisante pour lui permettre de se déplacer sans trop soulever de protestations.
    Successivement, les procureurs de la Couronne se présentèrent ensuite, puis les membres du jury, l’accusée, et enfin le juge Pelletier. Celui-ci n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, l’avocat de la défense prit les devants.
    — Votre Honneur, la situation devient intolérable. Le public fait preuve d’une curiosité sordide, en particulier toutes ces femmes caquetantes.
    Le « Oh ! » de protestation s’interrompit au son des coups de maillet du magistrat.
    — Ces gens viennent ici comme au cirque. Ce matin, plusieurs ont même apporté un goûter !
    Depuis la veille, les curieux comprenaient tout le danger de se lever afin d’aller dîner à l’extérieur. Pour ne rien perdre du spectacle, ils préféraient pique-niquer sur place.
    — Maître, je suis plutôt enclin à partager votre avis.
    Monsieur Fitzpatrick, quel est votre sentiment à ce sujet?
    — Un juste procès doit demeurer transparent, afin de rassurer la population. Avec une procédure publique, nous obtenons cette fin.
    Le juge soupesa longuement le problème. Puis, il trancha.

    — Nous pouvons poursuivre la même fin en usant d’un compromis. Les étudiants en droit, de même que les avocats membres du Barreau, pourront demeurer sur les lieux: ils tireront de ce procès des enseignements utiles. Quant au droit du public d’en connaître les détails, nous pouvons le satisfaire d’une autre façon. Je ne doute pas que les nombreux