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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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prétendre à un rôle de ce genre.
    Quelque chose dans le ton de cette femme ressemblait à du dépit.
    — Je peux toutefois vous offrir mon écoute, et ma discrétion, continua-t-elle.
    Le jeune homme, pensif, se taisait. A la fin, peut-être à cause des émotions de la journée, se livrer lui parut la chose à faire.
    — Marie-Jeanne et moi devons apprendre à vivre avec un lourd passé. Tous les deux, nous portons au moins en partie la responsabilité de la perte de vies humaines.

    — Tous les deux, vous avez fait ce que l’on vous demandait, sans vous offrir le choix.
    — Si cela était vrai, les choses seraient-elles vraiment plus supportables ?
    Cette fois, ce fut à la religieuse de se déplacer sur sa chaise, mal à l’aise sous le regard acéré de son interlocuteur.
    — Mais voyez-vous, continua Mathieu après une pause, tous les deux nous sommes allés au-delà des attentes, au moins de celles exprimées à haute voix. Croyez-moi sur parole, obéir à des ordres qui ne vous ont pas été donnés vous hante ensuite d’une tout autre manière.
    Mère Saint-Emilien se leva pour aller chercher un autre verre dans son armoire. Revenue à sa place, elle se versa un peu d’alcool.
    — Tant pis pour mon confesseur, grogna-t-elle.
    Après un silence trop lourd, le temps de se tremper les lèvres, elle demanda :
    — Pouvez-vous me décrire la participation de Marie-Jeanne dans ce drame? Ce serait ensuite plus facile pour moi de l’aider...
    — Non, je lui ai promis la discrétion, je m’en tiendrai à cet engagement.
    — Les journaux ne se priveront pas d’étaler les détails.
    — Sans doute, mais insister serait à la fois inutile et indélicat. Une trahison, même engluée de bonnes intentions, demeure une trahison.
    L’autre affecta une mine désolée.
    — Je veux juste comprendre, s’excusa-t-elle.
    — Alors, je vous parlerai de moi. Vous saurez bien voir de l’autre côté du miroir.
    Mathieu se cala dans sa chaise et commença.
    — Toute ma vie, j’ai cherché à bien faire: être un bon fils, un bon élève, un bon frère aîné. A l’armée, j’ai fait confiance à mes officiers, j’ai accepté de bon cœur un principe idiot: sacrifier ma vie à notre entreprise. Nous étions des millions à affronter la mort tous les jours pour obtenir la victoire.
    — Cette logique ne m’est pas inconnue...
    — Bien sûr, c’est aussi celle de l’Église.
    Le visiteur n’alla pas jusqu’à ajouter que l’objectif de convertir les infidèles lui paraissait tout aussi ridicule que celui de vouloir soumettre les Allemands.
    — Tout à ma mission, j’ai dénoncé deux de mes hommes pour lâcheté. Je craignais, et tous les états-majors avec moi d’ailleurs, une contagion de refus de combattre si je les laissais faire. Pour me remercier de mon zèle, mon général m’a ordonné de diriger le peloton d’exécution.
    — Seigneur Dieu !
    Mère Saint-Emilien avala la moitié du contenu de son verre.
    — Je n’avais aucune haine pour ces deux hommes, n’en doutez pas. Je cherchais simplement la considération de mes supérieurs. Bien faire pour être apprécié d’eux. Dire « aimé »
    ne serait pas exagéré.
    — ... De la même façon que pour être aimée de sa belle-mère, Marie-Jeanne a participé. Par son silence certainement, par son témoignage à l’enquête du coroner ensuite.
    — Il ne m’appartient pas de commenter cela.
    Le constat du jeune homme allait bien plus loin. Au gré du procès, il n’en doutait plus, la complicité de son amie serait mise en évidence.
    — Le plus ironique dans tout cela, confia-t-il en se levant, c’est que mon initiative m’a fait une très mauvaise réputation. Pas seulement auprès de mes hommes, mais aussi auprès de mes collègues, de mes supérieurs. J’ai découvert qu’il fallait savoir quand ouvrir et quand fermer les yeux. Les deux sont d’égale importance. J’essaie encore d’acquérir cette compétence.
    Certaine que toutes ses paroles de réconfort ne serviraient à rien, la religieuse se contenta de le regarder, muette.
    — Je vais rentrer à la maison, conclut le jeune homme en mettant la main sur la poignée de la porte. Avant de partir, me permettez-vous de faire un appel téléphonique ?
    — Bien sûr. Il y a un appareil dans la loge de la portière.
    Je vous reconduis.
    Devant l’entrée principale, ils se quittèrent sur une poignée de main. Un long moment, la femme accrocha son regard au sien, incapable

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