Mathieu et l'affaire Aurore
tu le sais bien.
Les baisers et les contacts pas très sages qu’ils se permettaient depuis quelques mois ne laissaient pas de doute à ce sujet.
— Honnêtement, insista-t-il, j’ai eu envie de toi dès le premier jour. D’un côté, je veux que tu le saches, de l’autre, je ne veux pas te froisser, ou te bousculer.
L’ancien officier avait fait un curieux apprentissage sentimental, de Françoise, timide et réservée, aux filles à soldats abordées en compagnie d’un demi-peloton en permission.
Le très bref épisode avec Jane se situait dans un monde à part. Revenir à la vie normale, c’était aussi accepter des règles bien étriquées.
Un peu comme des automates, ils revinrent vers le logis de Flavie. Devant la porte, son compagnon demanda :
— Pourrons-nous nous voir dimanche ?
Le timbre de la voix trahissait une certaine inquiétude.
— Si tu crois pouvoir négliger tes livres de droit pendant quelques heures, ce sera avec grand plaisir. Tu sais que je t’aime. Mais la vie me condamne à demeurer sage. Une autre attitude serait bien imprudente de ma part. De ton côté...
Elle ne se leurrait pas sur les expériences des militaires.
Pendant toute la guerre, les prêtres avaient formulé du haut de la chaire leurs inquiétudes au sujet du salut éternel des soldats. Alors, ils ne fustigeaient pas l’horreur de tuer des semblables, mais bien les risques moraux accompagnant les grands brassages de population.
Mathieu leva la main pour caresser les boucles brunes, sous le bord du chapeau cloche. Elle ne se déroba pas, les yeux levés vers lui.
— Je tenterai d’être sage. Dimanche, je t’attendrai à la sortie de l’église Saint-Roch.
Comme il se penchait pour un baiser plutôt chaste, elle accepta le contact sur ses lèvres. Une fois dans la maison, elle écarta un peu le rideau pour le voir s’éloigner. La jeune femme avait avoué l’aimer. Plutôt que de répondre «Moi aussi », Mathieu lui avait fixé un rendez-vous. Cela lui parut tout de même de bon augure.
Chapitre 22
Un peu après huit heures du matin, les convives sortaient de table quand la sonnerie du téléphone retentit dans la pension Sainte-Geneviève. Elisabeth s’absenta un instant, puis revint en glissant à l’oreille de son neveu :
— Mathieu, monsieur Fitzpatrick souhaite te parler un instant.
Le jeune homme gagna le petit bureau derrière le comptoir, porta l’un des cornets de bakélite à son oreille.
— Monsieur, je vous écoute.
— Le jeune Gagnon n’est pas en mesure de sortir de l’hôpital. Après l’ouverture de l’audience, le juge ordonnera le déplacement de toute la cour vers la rue Saint-Jean. Allez nous y attendre, et prenez les dispositions pour accueillir une trentaine de personnes.
«Me rendre utile», se souvint le stagiaire. L’étendue de ses attributions le surprenait toujours un peu.
— Le petit établissement du docteur Dusseault doit compter une salle d’attente, continua-t-il à haute voix. Elle devrait être assez grande.
— Alors, je vous reverrai là-bas tout à l’heure.
Un «clic» souligna la fin de la conversation. Quand Mathieu revint dans le hall, sa tante l’attendait.
— Il s’agit toujours de cette horrible histoire, je suppose.
— L’un des fils de l’accusée se trouve hospitalisé à cause de la grippe. Tout le tribunal devra se déplacer pour entendre sa déposition.
— Oh ! Quelle curieuse idée d’infliger cela à un enfant malade. Ne serait-il pas mieux d’attendre son rétablissement?
— Les douze membres du jury sont séquestrés. Leurs affaires trament, certains risquent de perdre leur emploi si l’absence se prolonge. Le juge souhaite leur permettre de reprendre leurs activités le plus vite possible.
La femme acquiesça d’un signe de tête. La colère grondait au sein
de
la
population.
Ces
hommes
devaient
demeurer coupés du monde, sinon il leur serait impossible de rendre un jugement équitable.
— Je comprends... Dans un autre ordre d’idées, tes examens de droit commenceront bientôt, je pense.
— Dans une dizaine de jours.
— La situation...
Elisabeth n’osa pas terminer sa phrase.
— La situation risque de devenir délicate, compléta Mathieu, la voix un peu morose, si je ne peux consacrer un peu plus de temps à mes études. Je devrai en parler avec mon employeur demain. Mais je me dois d’être là aussi longtemps que les enfants n’en auront pas fini avec leur témoignage.
Elle
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