Mathieu et l'affaire Aurore

demande de Lauréat Couture.
    Toute autre précision sur le sort des parents était superflue.
    Mathieu reconnut le vieillard pour l’avoir aperçu la veille lors de l’enquête du coroner. Encore ce matin, lui aussi avait accompagné le corps jusqu’au charnier.
    — Marie-Jeanne, Georges, commença la voisine, vos grands-parents ont accepté de venir s’occuper de vous et de la ferme pendant... l’absence de votre père et de votre mère.
    Ce fut cet instant que la cadette, Pauline, choisit pour exercer ses poumons. La grand-mère saisit l’occasion pour aller se réfugier dans la pièce voisine.
    — Cela vous fait-il plaisir ? questionna Exilda.
    Posée comme cela, devant les personnes concernées, une seule réponse était possible. Georges acquiesça de la tête avant de s’engager dans l’escalier pour gagner sa chambre à l’étage.
    La petite fille articula de bonne grâce :

    — Oui. Bonjour pépère.
    Exilda quitta son banc, considérant sa bonne action terminée.
    — Monsieur, voulez-vous me reconduire chez moi ?
    C’est sur votre chemin pour retourner au village.
    — Oui, avec plaisir.
    En mettant son chapeau, elle le remercia. Il l’aida à passer les manches d’un lourd manteau. En sortant, elle lança à haute voix, suffisamment fort pour être entendue des personnes dans les autres pièces :
    — Bonjour là ! A bientôt.
    Mathieu préféra réserver ses politesses aux personnes présentes.
    — Monsieur, mademoiselle Marie-Jeanne, prononça-t-il en inclinant la tête.
    Dehors, en reprenant les rênes, il essaya de se montrer ferme. Comme pour ne pas lui faire honte devant un témoin adulte, la jument accepta de décrire une boucle serrée dans la cour des Gagnon. Une fois dans le chemin public, elle rentrerait d’elle-même au petit trot vers son écurie.
    — Le détective les a donc arrêtés, commenta la voisine.
    — Alors qu’ils revenaient d’accompagner le corps jusqu’au charnier.
    — On ne les reverra pas de sitôt, je pense.
    Soucieux de ne pas donner d’informations à cette curieuse, son compagnon resta silencieux.
    — Le vieux Gédéon ne le sait pas encore, insista-t-elle, mais il a quitté sa maison du village pour un long bout de temps.
    — Gédéon ?
    — Le père de Télesphore. Il a vendu sa terre depuis un an ou deux pour aller terminer ses jours près de l’église. Le revoilà au travail pour le compte de son fils.
    Mathieu acquiesça, puis une inquiétude lui vint.
    — Ils seront capables de s’occuper des enfants comme il faut ?
    — La vieille a accouché une douzaine de fois sans faire de victimes.
    La voisine avait très facilement suivi le cours de ses pensées.
    — Du moins, précisa-t-elle, je ne pense pas. Elle en a perdu la moitié, mais c’est naturel.
    Pareille hécatombe paraissait affreuse au jeune homme.
    Sa mère avait eu deux enfants et elle les avait amenés à l’âge adulte. Avec une table bien garnie, la surveillance assidue de Gertrude et les visites du docteur Caron à la moindre maladie d’enfant, Thalie et lui avaient bénéficié des meilleures chances.
    Exilda lui montra sa demeure, bâtie tout au plus à quinze pieds du chemin. Pour éviter de répéter la manœuvre d’un tour complet, Mathieu s’arrêta tout bonnement en plein milieu de la chaussée. Elle descendit du traîneau, puis le dévisagea un instant.
    — Ce soir, je fais une veillée. Vous aimeriez peut-être venir ?
    Elle ne renonçait toujours pas à l’idée de lui extirper des informations.
    — Pourquoi pas...
    Le jeu pouvait aussi se jouer dans l’autre sens : il se dirait là quelques vérités sur les Gagnon, à n’en pas douter. Le tout serait de voir combien de ces médisances se mueraient éventuellement en témoignages crédibles devant une cour de justice.
    — J’y pense, continua Mathieu, la jeune fille va s’ennuyer terriblement
    avec
    ces
    vieillards.
    Ne
    pourriez-vous
    pas l’inviter aussi ?
    — Marie-Jeanne? Elle a douze ans.
    — Ne craignez rien, je n’ai pas l’intention de lui conter fleurette. J’ai pour cela une jolie fille de mon âge à Québec.
    Cependant, elle doit vraiment s’ennuyer avec ces petits vieux, et j’aimerais lui parler un peu.
    L’autre le regarda d’un air entendu avant de convenir:
    — Vous avez raison, elle a tout vu... Je vais l’inviter, nous verrons s’ils la laisseront venir.
    Après un échange de salutations, Mathieu fit claquer les rênes sur le dos de la jument.

    *****
    Au trot, le