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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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déjà le mercredi des Cendres, le début d’un long carême où chacun devait se remémorer que «poussière, tu retourneras en poussière».
    Pendant quarante jours, tous les plaisirs, légitimes ou non, seraient interdits.
    En soirée, Mathieu constata l'affluence des voitures près de la maison des Lemay. Les cultivateurs les avaient orientées de façon à ce que les chevaux forment un bloc : ils se réchaufferaient un peu mutuellement. En quittant le magasin général, Mailhot s’était appesanti sur les soins à donner à sa jument. Elle plongea le nez dans le sac d’avoine, se laissa mettre une robe de carriole sur le dos.
    Après avoir frappé à la porte de la cuisine d’été, il ouvrit sans plus de cérémonie.
    — Entrez, entrez, invita le maître de la maison, Arcadius Lemay, sans quitter sa grande chaise berçante.
    La pièce s’encombrait d’une douzaine de personnes. Une porte grande ouverte donnait sur le corps du logis principal, dans un salon, où il s’en trouvait tout autant, peut-être plus.
    L’assemblée se tut pour examiner le nouveau venu de la tête aux pieds.

    — Donnez-moi votre manteau, proposa Exilda en venant dans sa direction avec empressement. Votre chapeau aussi.
    Autant le climat à l’extérieur se révélait glacial, autant la température ambiante, dans la maison, devenait étouffante, un peu
    moite,
    à
    cause
    du
    poêle
    alimenté

sans
    cesse en combustible et de tous ces corps trop lourdement vêtus.
    L’hôtesse fit disparaître le casque fourré en lapin dans la manche de la parka, pour remettre ensuite le vêtement à sa bru. Il s’empilerait avec les autres dans la chambre principale, sur le lit conjugal.
    — Venez avec moi au salon.
    La cuisine d’été paraissait réservée aux hommes résolus à se fumer le corps comme des jambons, à coups de pipées malodorantes. La seconde pièce offrait une présence féminine plus importante, et un air moins pollué.
    — Vous allez vous installer dans ce fauteuil.
    — Mais je ne voudrais pas...
    Le siège se trouvait déjà occupé par un jeune homme.
    — Tut, tut, tut. Ovide se fera un plaisir de vous céder sa place.
    Le faciès d’Ovide n’affichait cependant pas un enthousiasme irrépressible à ce sujet. Il obtempéra pourtant et alla se réfugier sur un banc improvisé placé contre le mur, un simple madrier posé sur deux caisses de bois.
    — Nous n’avons pas si souvent la chance de recevoir un jeune avocat de Québec, précisa Exilda.
    Si l’hôtesse soulignait ainsi la médiocrité des autres invités, personne ne parut offensé outre mesure. Des années passées entre eux prédisposaient à faire bon accueil aux étrangers. Mathieu eut envie de rappeler son statut d’étudiant, mais il se retint. Tout le monde l’avait vu accompagner le coroner, après
    avoir
    assisté
    à
    l’autopsie.
    Ces
    habitants
    le percevaient comme un pivot essentiel des procédures, alors que sa présence était fortuite.
    La bru du couple Lemay revint prendre sa place sur une chaise juste à côté de lui.
    — Mon garçon passe l’hiver dans un chantier en haut de Trois-Rivières, expliqua Exilda. Ma pauvre Lison se trouve bien esseulée depuis novembre.
    Mathieu échangea un regard avec sa voisine privée de son conjoint. S’attendait-on à ce qu’il l’égaye de sa conservation brillante, ou alors qu’il la fasse danser si un voisin sortait un violon de son étui? Il cherchait encore les mots à lui dire quand Ovide, de son siège improvisé, l’interpella :
    — Vous avez fait la guerre, à ce qu’il paraît.
    Comment diable les habitants de ce trou perdu connaissaient-ils son passé ? La rumeur de ses bons et loyaux services ne s’était certainement pas rendue jusqu’à Sainte-Philomène-de-Fortierville. Puis, il se souvint de la précision donnée par Caron, la veille, dans le cadre de l’enquête du coroner.
    — C’est à votre façon de marcher, de vous tenir debout, expliqua sa voisine devant son air perplexe. Tous les anciens combattants sont raides comme vous. On en voit parfois dans les parages.
    — Oui, j’ai fait la guerre, répondit-il enfin à son interlocuteur.
    — Pourquoi donc ?
    — C’était notre devoir, non ?
    La réponse suscita un grand rire chez Ovide, des sourires contraints chez les autres.
    — Aller défendre les Anglais, notre devoir ?

    Le ton d’incrédulité accentua le malaise dans la pièce.
    Au lieu d’offrir à l’escogriffe de reprendre le fauteuil, car

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