Mathieu et l'affaire Aurore
Gagnon et prononça d’une voix forte :
— Télesphore Gagnon, Marie-Anne Houde, je vous mets en état d’arrestation pour des mauvais traitements ayant entraîné la mort. Vous devez m’accompagner à Québec. Il y a un train dans moins de deux heures, nous allons le prendre ensemble.
La femme parut enregistrer l’information la première.
— Télesphore, qu’est-ce qu’il dit? reprit-elle derrière la protection de son voile. Cela ne se peut pas.
— Je vous arrête, répéta le policier, et je vous conduis à Québec.
— Pourquoi ? articula enfin l’homme, hébété.
Il ne semblait pas comprendre la gravité de la situation.
— Vous avez entendu le rapport d’autopsie, hier ?
demanda Couture d’une voix impatiente. On ne traite pas des êtres humains de cette façon. Bon Dieu, votre fille est morte.
— Elle avait la tuberculose à force de marcher pieds nus dans la neige ! plaida la belle-mère.
Le détective fouilla dans la poche de son paletot avant de sortir une paire de menottes, deux lourds bracelets en fer reliés par une courte chaîne.
— Donnez-moi vos poignets. Je n’ai aucune envie de courir après vous dans la campagne... Pressez-vous un peu, nom de Dieu, ajouta-t-il après une pause. On gèle.
Ses interlocuteurs demeurèrent impassibles un long moment. Les deux enfants à leur côté ouvraient des yeux effarés.
Autour d’eux, une vingtaine de personnes surveillaient la scène, des parents des Gagnon, ou des voisins, pour la plupart.
— Résister à son arrestation est un crime, vous savez.
Allongez vos poignets que je vous attache ensemble, ou alors je devrai le faire de force.
Les habitants, autour d’eux, s’approchèrent un peu plus.
Couture craignait de les voir prendre fait et cause pour leurs voisins afin de résister aux étrangers, ces représentants d’une autorité à la fois lointaine et mal comprise.
— Picard, Mailhot, vous allez aider ce monsieur à me tendre son poignet droit.
Spontanément, le détective en appelait au juge de paix et à l’employé du procureur général. Mathieu se troubla de se voir propulsé bien vite dans le rôle d’auxiliaire d’un agent de la paix. Le souvenir de l’autopsie l’amena à s’avancer d’un pas, sans hésiter, pour prendre le coude de Télesphore, attentif à la moindre réaction violente de celui-ci.
Le cultivateur possédait la force, mais aussi la lenteur d’esprit du taureau. Au lieu de se rebeller, il finit par allonger son avant-bras. Avec une dextérité liée à des années de pratique, Couture rabattit le bracelet et le ferma dans un seul mouvement très vif.
— Madame, à votre tour. Votre poignet gauche.
Marie-Anne paraissait disposée à offrir un peu de résistance, d’autant plus que les deux hommes hésiteraient à lever la main sur elle. Toutefois, les parents de son mari, un instant plus tôt volontiers menaçants, s’éloignèrent un peu.
Ils ne se mouilleraient pas pour elle.
— Vous n’avez pas le droit de faire cela.
Pourtant, elle tendit la main. Le policier fixa le lien en disant :
— Alors, portez plainte contre moi. Dès lundi, vous comparaîtrez devant un juge de la Cour des sessions de la paix. Profitez de l’occasion.
Gagnon étant plus fort et plus agile que lui-même, l’attacher à son propre poignet représentait un danger. En le liant à son épouse, il le fixait à un boulet auquel il devait certains égards. Maintenant, impossible pour lui de courir comme un fou vers la forêt la plus proche, ou tenter de lui faire un mauvais parti.
— Mailhot, demanda le détective, trouvez un sac de toile pour mettre les objets qui se trouvent dans le traîneau.
— Un sac ?
— Une poche de farine fera très bien l’affaire. Vous viendrez me porter le paquet à la gare. Ce n’est pas trop loin, nous y allons à pied.
Couture indiqua au couple la direction de la rue Principale.
— Les enfants? demanda Télesphore.
Marie-Jeanne et Georges se tenaient maintenant par la main, désireux de se rapprocher l’un de l’autre alors que le monde basculait autour d’eux.
— Vous vous préoccupez donc de ces deux-là ? Aurore n’a pas eu cette chance.
Ce genre de remarque ne donnait rien, aussi le détective continua, un peu rageur :
— Picard, vous savez conduire un cheval ?
— Cela faisait partie des choses enseignées à l’armée.
Ce genre de compétence, acquise à l’âge de dix ans dans les milieux ruraux, n’était pas universellement
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