Mathieu et l'affaire Aurore
la cour, à Québec, mardi, pas le prochain, le suivant.
Sans doute intimidé, le médecin avait jugé bon de discuter de la question avec le juge de paix.
—C’est naturel, répondit le visiteur en revenant vers le comptoir. Un magistrat doit établir si la preuve accumulée permet de les traduire en justice.
— Et moi, je dois y aller mardi, dans trois jours, afin de témoigner. J’ai reçu un appel téléphonique de votre bureau, tout à l’heure.
Ce rendez-vous prochain avec la justice en faisait un hôte plutôt morose, jugea le stagiaire.
— C’est pour la même raison. Dans votre cas, c’est plus tôt, dans le cadre de l’enquête de police. Pour le bureau du procureur, il s’agit de déposer les accusations et de statuer sur la libération des suspects.
— Je m’y perds...
Son statut de juge de paix ne lui procurait aucune connaissance de la procédure.
—Je vous résume les choses, offrit le visiteur. La première étape, c’était l’enquête du coroner pour établir la cause de la mort. Celle-ci ayant paru suspecte aux jurés, le bureau du procureur a émis un mandat d’arrêt. Lundi, les prisonniers seront conduits à la Cour des sessions de la paix. Ils prendront connaissance des accusations portées contre eux. Là, leur avocat aura le loisir de demander leur remise en liberté...
— Ils ne peuvent pas les laisser sortir ! Pensez aux autres enfants...
— Il appartient au juge d’en décider. Ces gens n’ont pas de dossier criminel, je présume.
Oréus Mailhot fit non de la tête, un peu à regret. Mathieu ne jugea pas à propos de lui parler de la présomption d’innocence : cet homme avait vu le cadavre.
— Ensuite, comme je le laissais entendre tout à l’heure, le docteur Lafond devra se rendre à l’enquête préliminaire.
A cette étape, un juge décidera si les preuves amassées par Couture sont assez solides pour aller en procès. Si ce n’est pas le cas, les accusés seront relâchés.
— Des preuves suffisantes ! Grand Dieu, vous avez entendu le rapport du post-mortem.
Le stagiaire au bureau du procureur général réprima un sourire.
— Ce rapport, je l’ai écrit sous la dictée du docteur Marois. Après l’enquête préliminaire se tiendra le procès proprement dit, au printemps.
Le marchand hocha la tête, taciturne. Il faisait porter son poids d’un pied à l’autre, comme un gamin coupable d’un mauvais coup.
— Et je devrai assister à toutes ces étapes, pesta-t-il.
— Vous êtes un témoin essentiel à la poursuite. Je suis désolé pour vous.
Le visiteur fit mine de se diriger vers l’escalier.
— Vous croyez que je peux être poursuivi ? jeta Mailhot tout à trac.
— Mon Dieu, pourquoi donc ?
— Je pouvais la sauver. Je l’ai vue en juillet, affreusement blessée..
La notion de non-assistance à une personne en danger avait été évoquée la veille, à l’enquête du coroner. Bien des personnes de la paroisse, conscientes des mauvais traitements depuis des mois, devaient se poser la même question. Leur lâcheté au moment des faits en ferait désormais des témoins peu coopératifs. Leur propre honte les inciterait à se taire.
— Vous n’avez rien à craindre, je vous assure.
De la part d’un simple étudiant, l’affirmation se révélait bien présomptueuse. Il continua, pour appuyer ses dires :
— D’abord, vous-même n’avez été témoin de rien.
L’autre confirma l’information d’un acquiescement de la tête.
— Ensuite, l’été dernier, vous vous êtes donné la peine de la prendre à part pour lui donner la chance d’infirmer l’histoire de ses parents...
— Dans le petit bureau, là. J’ai même fermé la porte.
— Malheureusement, elle devait être trop effrayée pour dire la vérité. Le lendemain de la première dénonciation, vous êtes venu au bureau du procureur général.
— Trop tard.
Mathieu hocha la tête, puis se dirigea vers l’escalier. Il se retourna pour ajouter encore :
— En réalité, vous êtes le seul dans cette paroisse à avoir tenté de l’aider. D’autres, mieux informés de la situation, n’ont pas bougé.
Le jeune homme venait de se faire un ami pour la vie.
Le repas du soir prendrait sans doute des allures de festin.
Chapitre 8
Dans un monde privé de théâtres, de cinémas, de tavernes même, les «veillées» fournissaient l’occasion de danser, chanter et boire un coup. En ce 14 février, le moment paraissait propice : le 18, ce serait
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