Mathieu et l'affaire Aurore
cheval fila comme prévu directement devant la porte de son écurie. Le curé Massé devait encore monter la garde près de sa fenêtre, car à peine le stagiaire entreprenait-il de défaire l’attelage que l’ecclésiastique sortait du presbytère.
— Laissez-moi faire, j’ai l’habitude.
— ... Comme vous voulez, répondit le jeune homme en reculant.
Tout en détachant les boucles des courroies en cuir du traîneau, l’ecclésiastique commenta :
— Quelle disgrâce pour la paroisse ! Il les a arrêtés devant l’église, à la fin des funérailles de leur enfant.
Mathieu esquissa un sourire devant la mine outragée du prêtre.
— Couture voulait certainement les empêcher de prendre la fuite, ou encore de faire disparaître les preuves.
— Les preuves ?
— J’ai entraperçu une jaquette d’enfant tachée de sang dans votre carriole, tout à l’heure.
L’autre ne put réprimer une grimace dégoûtée. Cela pouvait autant venir de sa compassion pour l’enfant que du déplaisir de constater la souillure de son traîneau par un vêtement féminin intime.
— Plus probablement encore, continua le stagiaire sans trop se préoccuper des états d’âme de son interlocuteur, il craignait sans doute que les enfants, et même tout le reste de la parenté, n’apprennent trop bien la petite fable concoctée par ces gens-là.
— Vous êtes bien jeune, pour juger ce qui se passe dans les familles, ne trouvez-vous pas ? Elever des enfants chrétiennement est une entreprise difficile.
— Oh ! Maintenant, le seul jugement important, c’est celui du magistrat en face duquel ils comparaîtront lundi, pas le mien. Plus tard, douze citoyens bien ordinaires décideront si tuer une enfant à force de mauvais traitements est compatible avec l’éducation chrétienne à laquelle vous faites allusion.
Le petit curé, étroit dans sa soutane, se renfrogna. Il connaissait sans doute de bien nombreux détails relatifs à ce décès, susceptibles d’éclairer la justice. Toutefois, il n’en révélerait probablement rien. Quand l’ecclésiastique saisit la bride de sa jument, maintenant détachée de la carriole, pour la conduire vers l’écurie, Mathieu conclut l’échange :
— Je vous souhaite une bonne fin de journée, monsieur le curé.
— Vous rentrez sans doute tout de suite à Québec. Vous avez le temps d’attraper votre train.
— Je préfère passer encore une journée dans votre beau village. Vous me verrez donc à la messe demain matin.
Sur ces mots, le jeune homme regagna le magasin général.
*****
Oréus Mailhot se trouvait toujours derrière son comptoir, à servir les clients. Un seul sujet occupait toutes les conversations: l’arrestation des deux paroissiens près du parvis de l’église. Le marchand esquivait les questions de son mieux. De toute façon, ses connaissances bien nébuleuses des méandres
de
l’appareil
judiciaire
faisaient
que
lui-même s’interrogeait sur la suite des choses.
Le visiteur se plaça un peu à l’écart, près du poêle en fonte. Des cultivateurs entamèrent des bouts de conversations avec lui. Il s’approcha quand les derniers consommateurs quittèrent les lieux.
— Acceptez-vous de me loger une autre nuit ?
Avant de répondre, son interlocuteur regarda l’horloge accrochée au mur.
— Si vous courez un peu, vous pourrez monter à bord du train.
— J’ai été invité chez les Lemay ce soir, j’aimerais entendre les conversations.
L’autre le regarda, surpris.
— Ce seront des commérages. Les histoires les plus folles commencent à circuler.
— Mais parmi ces histoires, certaines doivent avoir un fond de vérité.
Le juge de paix ne paraissait pas enthousiasmé par la perspective de garder son pensionnaire un peu plus longtemps.
— Votre chambre est à votre disposition, consentit-il à la fin. Si vous montez, ma femme trouvera de quoi vous faire un dîner.
Présenté comme cela, inutile de s’attendre à une expérience gastronomique.
— Vous me trouverez sans-gêne, insista le jeune homme, mais je voudrais aussi vous louer ces vêtements chauds que je porte, et même un cheval et une voiture, pour ce soir. Je pourrais peut-être m’adresser au forgeron du village...
— Vous prendrez ma jument, ce sera plus simple.
Mathieu le remercia d’un sourire. Comme il mettait le pied sur la première marche de l’escalier, il entendit dans son dos :
— Monsieur Picard, le docteur Lafond a été convoqué à
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