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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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appeler Gagnon tous les deux, au moment du grand frisson, ricana Mathieu.
    Seul le loustic de tout à l’heure sembla apprécier la repartie. Il fut pris d’un grand rire et se tapa sur les cuisses.
    — Bien sûr, il se retrouvait seul avec de nombreux enfants sur les bras, reconnut l’étudiant après une pause, pour effacer les reproches exprimés par certains visages.
    — Mais non, expliqua l’homme hilare. Il ne restait que le petit Joseph.
    — Georges-Etienne était déjà placé, précisa encore Exilda. Les deux filles sont allées à l’orphelinat d’Youville.
    « Elles logeaient à deux pas de chez moi », songea Mathieu.
    — Donc, conclut la bru des Lemay, il restait seulement le petit Joseph dans la maison, âgé de quelques semaines au départ de sa mère.
    «Une présence féminine s’imposait donc absolument», pensa encore l’invité. On ne pouvait « placer » un poupon.
    Même si Télesphore profitait de cette « circonstance atténuante», le
    même
    voisin
    souligna
    l’inconvenance
    de
    la
    situation :
    — A son âge, le bébé ne pouvait certainement pas raconter ce qui se passait avec la bonne.
    — Moi, avant leur mariage, je n’entrais plus dans cette maison, précisa la maîtresse des lieux, même chose pour ma bru.
    Autrement dit, Exilda avait reconnu là un concubinage flagrant, une situation incompatible avec la poursuite des relations de bon voisinage.
    — Quand la première épouse est-elle morte ? demanda Mathieu.
    — Le 23 janvier 1918, déclara un homme.
    La réponse venait sans aucune hésitation. Ces gens, à la suite des derniers événements, ressassaient leurs souvenirs.
    — Et le remariage du voisin exactement une semaine plus tard, compléta le même homme.

    Le curé, afin de mettre fin au scandale, avait accepté une cérémonie précipitée, sans s’encombrer de la tradition de publier les bans.
    — La petite fille est née plus d’un an après le mariage, dit encore Mathieu.
    — Mais avant, il y a eu au moins une fausse couche.
    Ces habitants n’en démordaient pas : leur voisin s’était rendu coupable d’une relation adultère pendant le séjour de sa femme dans un asile d’aliénés. Ce crime leur paraissait plus répugnant que les mauvais traitements infligés à une enfant. Une fois la situation régularisée par le sacrement de mariage, les relations de voisinage avaient repris leur cours habituel.
    — Un petit garçon est décédé, rappela l’étranger venu de Québec. Joseph... Vous en avez parlé tout à l’heure.
    — Joseph est mort en novembre 1917, dit Exilda. Il avait entre deux et trois ans.
    — De quoi, au juste ?
    La paysanne haussa les épaules, puis marmotta :
    — Ici, les bébés partent comme cela.
    Elle fit un geste de la main, comme pour chasser une poussière. Elle-même évoquait son fils, mais aucun autre enfant. Peut-être avait-elle accompagné de nombreux
    «petits anges» au cimetière.
    Pour Mathieu, cela paraissait une étrange coïncidence : au moment où Marie-Anne Houde jouait le rôle de « domestique»
    dans la maison, le mauvais sort avait frappé une première fois. Un regard de l’autre côté de la pièce lui permit de constater que Marie-Jeanne, silencieuse depuis un bon moment, fixait le plancher. Elle ne pouvait apporter de précisions sur cet événement, car à cette époque, elle se trouvait à l’orphelinat.

    — Maintenant, vous allez tous goûter à mon petit vin de cerise, déclara Exilda en se levant.
    — Tu n’as rien de plus fort ? demanda le voisin à l’humour douteux. D’habitude..
    — Avec les grenouilles de bénitier régnant sur la paroisse, je n’ai rien de plus fort.
    Le sous-entendu amusa Mathieu. Il crut qu’il était peut-être la cause de cette prudence. Dans la cuisine d’été, par la porte entrouverte, il apercevait deux ou trois hommes qui tenaient chacun fermement une tasse en ferblanc. Ces paysans ne devaient pas être attachés au thé à ce point.
    Puis, il se retrouva avec à la main un petit verre au bord ébréché, rempli d’une liqueur d’un rouge grenat. Devant le regard inquisiteur de son hôtesse, il apprécia après une gorgée :
    — C’est excellent, en effet.
    Après ces mots, elle se crut autorisée à en servir à tout le monde dans la pièce.

    *****
    Exilda Lemay se montrait disposée à lui donner la recette de son exquise liqueur, une rare concession. Elle rangea son bout de papier seulement quand il précisa que le petit fruit poussait

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