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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dangereuses que les loups, rétorqua-t-il du même ton.
    — Ah ça ! La paroisse sera bientôt connue dans toute la province, commenta Arcadius Lemay.
    Eventuellement, les journaux s’empareraient de l’affaire.
    À ce moment, les détails de l’autopsie effectuée par le docteur Albert Marois feraient dresser les cheveux sur les têtes.

    *****
    Une fois dehors, coiffés et vêtus de lourds manteaux, le jeune homme et sa compagne contemplèrent le ciel étoilé.
    L’absence de tout nuage laissait présager que la vague de froid continuerait de sévir. Mathieu récupéra la robe de carriole pour la poser sur les jambes de la fillette. La jument paraissait endormie. Elle se laissa guider par la bride pour tourner vers le chemin.
    — Les choses se passent bien, avec vos grands-parents ?
    demanda-t-il en montant dans la voiture.
    — Oui, ils sont gentils.
    — Aucune brutalité ?
    Pour être bien compris, il précisa :
    — Aucun coup, pas de paroles blessantes ?
    Elle fit non de la tête.

    — Si jamais il se passe quelque chose, il faudra le signaler à monsieur Mailhot. Tous ces coups, ce n’était pas bien, vous savez. Il faut empêcher que cela se reproduise.
    Encore une fois, Marie-Jeanne répondit d’un signe. La moitié du trajet était accompli quand elle bredouilla:
    — Ce jour-là...
    — Quel jour ?
    — Avec le rondin.
    Mathieu tira un peu sur les guides pour ralentir encore le pas du cheval, afin de lui donner toute son attention.
    — Maman l’a assommée, à grands coups sur la tête. La grosse bosse, cela venait de cette correction. C’est pour cela qu’Aurore n’a pas réessayé de descendre dans mon lit.
    Marie-Anne avait donc dit vrai à sa voisine. Littéralement, en la laissant sans connaissance, elle lui en enlevait le goût !
    — Et dans le front ? Vous savez pourquoi elle avait une grande plaque au-dessus de l’œil?
    La fillette se troubla, détourna les yeux en direction de l’orée des bois, à trois ou quatre arpents tout au plus. Peut-
    être craignait-elle plus les loups que sa belle-mère, après tout.
    — Un soulier. Elle l’a frappée avec un soulier, avoua-t-elle pendant que le traîneau pénétrait dans la cour de la maison paternelle.
    — Vous croyez ? C’était une blessure grave.
    — ... Avec le talon.
    Elle paraissait plaider. « Cette enfant voudra-t-elle répéter toutes ces horreurs devant un juge ? » se demanda-t-il.
    Marie-Jeanne hésitait à rentrer dans la maison. Recroquevillée sous la robe en fourrure, elle se mordait la lèvre inférieure. Un instant, Mathieu songea à l’interroger encore sur la façon dont les grands-parents se comportaient, tant sa réticence à le quitter lui paraissait grande.

    Elle le prit tout à fait par surprise :
    — Aurore était impure. C’est un péché très grave, enchaîna-t-elle après une pause. Les personnes impures brûlent pour l’éternité en enfer. L’éternité, c’est très long, n’est-ce pas ?
    Cette naïveté amena un sourire fugace sur les lèvres de son compagnon. Derrière une fenêtre faiblement éclairée, à quelques pieds, quelqu’un déplaça le rideau.
    — L’éternité, c’est toujours. Cela ne se termine jamais.
    — Aurore se trouve donc en enfer pour toujours.
    Une pensée lui vint : cette fillette n’englobait pas que sa sœur dans son constat. Après tout, c’était dans son lit que la victime souhaitait aller.
    Pour la première fois, Mathieu trouva ridicule de la traiter comme une grande fille.
    — Tu sais, je ne pense pas que Dieu punisse bien sévèrement la curiosité des enfants.
    — Au catéchisme, monsieur le curé nous a dit que c’était un péché mortel.
    Elle avait déjà « marché » au catéchisme, pour se préparer à sa confirmation et à sa communion solennelle. Ces termes, et la distinction entre eux, lui étaient familiers.
    — Ne t’en fais pas trop avec cela. Tout le monde commet ce péché-là.
    Si elle répétait ces paroles, s’avisa le jeune homme un peu trop tard, les habitants du charmant village le brûleraient sans doute devant l’église. Le curé Massé allumerait le bûcher lui-même sans l’ombre d’une hésitation.
    — Je dois rentrer, murmura-t-il après un moment. La jument va avoir froid.
    La jeune fille acquiesça de la tête tout en s’extirpant de la fourrure.

    — Si je reviens, tu accepteras de parler encore avec moi ?
    D’un nouveau signe de la tête, elle lui donna son assentiment.
    — Bonne nuit, Marie-Jeanne.

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