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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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d’utiliser une petite pièce de son commerce.
    Elle comprit son désir d’un peu plus de discrétion.

    — Je vous accompagne.
    Il lui offrit son bras. Elle y posa sa main gantée après une hésitation. Mathieu attribuait à sa mine la bonne disposition des femmes à son égard. En s’appuyant sur lui, elle traversa la rue glacée sans glisser une seule fois.
    Oréus Mailhot avait déjà déverrouillé la porte de son magasin. Une demi-douzaine de cultivateurs entrèrent sur ses talons. Dans la pièce minuscule servant de bureau, Mathieu offrit la meilleure chaise à sa compagne, occupa l’autre.
    — Mademoiselle Saint-Onge, Aurore a été votre élève, je pense.
    — A peine.
    — Pardon ?
    — Je l’ai vue tout au plus une dizaine de jours, l’automne dernier, après son retour de l’hôpital.
    Le jeune homme acquiesça. Cela confirmait l’histoire entendue la veille.
    — Et l’année précédente ?
    — Peut-être vingt jours en tout. Certainement pas plus.
    — Elle était donc totalement ignorante.
    — Pas selon les attentes de notre petite paroisse.
    Mademoiselle Saint-Onge devait avoir trente ans. Son statut civil avait de quoi surprendre. À son âge, bien peu de jeunes femmes étaient encore célibataires. Cela ne tenait guère à un physique ingrat. Une mise très modeste ne gâchait en rien sa silhouette fine. Ses longs cheveux bruns, fraîchement lavés, encadraient un visage à l’ovale charmant.
    — Mais si je compte bien, commenta son interlocuteur, elle a été scolarisée pendant trente jours à peine.
    — Vous oubliez ses deux ans à l’orphelinat. Le premier jour où elle est venue dans ma classe, elle savait écrire au son. Le résultat était un peu étrange, mais tout à fait compréhensible. Les gens de Sainte-Philomène ne sont pas férus d’orthographe. Elle pouvait lire le catéchisme, signer son nom. Par ici, cela suffit à la plupart des femmes.
    Son interlocutrice ne comptait sans doute pas parmi ce lot.
    — Ses parents la retenaient à la maison à cause du manque de chaussures, d’après ce que j’ai entendu.
    — D’autres invoquent de moins bons motifs encore.
    Pour ne pas peindre un portrait trop triste de son milieu, elle précisa :
    — La majorité des enfants viennent à l’école un jour sur deux, pendant quatre ans.
    — Pas plus souvent ?
    Elle secoua la tête de droite à gauche, un sourire attristé sur les lèvres.
    — La longueur du trajet quotidien, la rigueur du climat, la maladie, les travaux de la ferme ou les tâches ménagères, et aussi la rareté des chaussures et des vêtements chauds, tout cela se conjugue pour amener les parents à garder les enfants à la maison. Comme Aurore en savait déjà autant que la plupart...
    Elle fit un geste de la main, comme pour dire : « Personne ne s’attendait à plus. »
    — Elle vous a semblé stupide ?
    — Les gens disent cela ? Au contraire, elle possédait un esprit vif, plus que celui de la majorité de ses camarades.
    Mais comme elle se montrait très réservée, timide en fait, on a pu avoir l’impression... Bien que silencieuse, ses yeux et ses oreilles enregistraient tout.
    Cela ressemblait à un véritable plaidoyer en faveur de la petite victime.
    — Vous ne l’avez pas trouvée... difficile, turbulente ?

    — Pas le moins du monde. Elle respectait les consignes, attendait sagement après avoir terminé une tâche.
    Mathieu avait du mal à imaginer cette femme en train d’idéaliser la petite Aurore. Fin octobre dernier, elle lui paraissait encore être une élève agréable. Avec cette jolie institutrice, il ne prononcerait pas le mot «impureté» à haute voix.
    — Vous n’avez vu en elle aucune tare, aucune malice..., insista-t-il, un peu mal à l’aise. Pas le moindre vice ?
    — C’est étrange, nous parlons ici de la victime, remarqua-telle. À vous entendre, ou à entendre certains de mes voisins, elle paraît se transformer en coupable.
    — Je vous assure, j’ai aussi ressenti l’étrangeté de la situation, hier. Justement, je vous parle afin de corriger cette impression. Non seulement vous l’avez connue, mais vous êtes familière des enfants de cette paroisse.
    A l’allusion aux paroles du curé, lors des funérailles, elle rougit.
    — Je ne l’ai pas très bien connue, pas en si peu de jours.
    Je garderai toutefois le souvenir d’une petite fille timide, sage, bien disposée, mais en rupture très nette avec les règles de l’orthographe. A mes yeux, elle

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