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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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qu’il vous a dit, intervint le juge Choquette.
    — À la mort de mon frère, il y a cinq semaines, il m’a conté que la veille, à son retour à la maison, la petite fille avait les yeux tout noirs. Il pensait qu’elle était tombée sur le poêle.
    Mathieu sourit à cette explication de son état. Plus tard, les parents avaient attribué cela au fait qu’elle sortait pieds nus dans la neige. Mais au début, Télesphore avait cru à un choc brutal.
    — Après ça, il s’est mis à me dire : « C’est décourageant, moi qui aurais tant aimé ça, avoir des enfants comme les autres ! Cette enfant-là est dure, je n’en viens pas à bout. »

    — A-t-il tenté de la corriger ? demanda Fitzpatrick, conscient de tenir là un filon.
    — Il a ajouté, cette fois-là : «Je n’y touche plus parce que ça ne sert à rien. » Après ça, il a continué : « Cette enfant-là fait des saloperies dans son linge. Je travaille à me désâmer, et le soir, quand j’arrive, je vois tout ce linge qui s’en va en ruine. »
    « Qu’avec délicatesse ces choses sont dites », se dit Mathieu. La confidence de Marie-Jeanne lui revint. Aurore
    «faisait» partout, avait-elle dit, même dans le chapeau de son père ! Le substitut du procureur s’intéressait plus aux actions qu’aux états d’âme de l’accusé.
    — Vous a-t-il parlé des corrections qu’il infligeait à son enfant? poursuivit-il sans tirer l’allusion au clair.
    — Il m’a dit qu’il l’avait déjà battue, mais qu’il ne la touchait plus, parce que ça ne servait à rien.
    Pourtant, elle était morte des suites de sévices ! L’avocat abandonna son témoin à Francœur.
    — Etiez-vous seule avec lui, quand il vous a causé de ça ?
    — Oui, monsieur, on était tous les deux.
    — Chez lui ?
    — Non, on veillait le corps de mon frère, Anthime Gagnon.
    Anthime reposait maintenant dans le charnier, en compagnie de la petite victime. Cette femme était la demi-sœur de l’accusé, se souvint Mathieu. Ce lien de parenté semblait échapper aux deux avocats. Pourtant, il pouvait expliquer ce témoignage plutôt sympathique à Télesphore.

    *****
    Vitaline Lebœuf, épouse de Télesphore Badaud, dépassait les soixante-dix ans. Obèse, un peu courbée vers l’avant, elle attachait ses cheveux gris sur sa nuque, presque de façon à former un casque. Son chapeau noir à larges bords lui donnait une allure d’un autre siècle et d’un autre continent.
    Après avoir prêté serment et décliné son identité, elle parla d’une corvée pour refaire le solage de la demeure de l’un de ses fils. C’est là que Télesphore Gagnon s’était trouvé en sa présence.
    — Etes-vous parente avec l’accusé ? demanda Fitzpatrick.
    — Je ne suis pas sa parente.
    Toutefois, pensa Mathieu, elle se trouvait apparentée au témoin précédent.
    — Mais vous le connaissez, madame Badaud ?
    — Oui, monsieur, je le connais bien.
    — Est-ce qu’il vous a parlé au sujet de son enfant, Aurore ?
    — L’automne passé, il m’a dit: «J’ai une petite fille assez têtue, je ne sais pas quoi en faire.» Sur ça, j’ai répondu:
    «Pauvre Télesphore, va donc la mener à Québec, elle sera bien avec les sœurs, celles-ci la tiendront bien, crains pas. »
    De nouveau, l’attention se portait sur le caractère difficile de la victime, pas sur les mauvais traitements infligés par l’accusé.
    — Quel était le nom de la petite fille ?
    — Je ne me souviens plus.
    — Parlait-il de celle qui est morte ?
    — Oui, monsieur. Après ça, il m’a dit qu’il l’avait battue très fort, à rester dessus...
    Elle voulait dire au point de s’épuiser et de choir sur elle.
    — Je lui ai dit, continua la vieille : « Pauvre Télesphore, tu pourrais bien la tuer, la battre comme ça, une petite fille comme elle.» J’ai ajouté: «Télesphore, si tu l’as battue comme tu dis, tu as battu ta petite fille comme un homme bat un chien. » Après ça, il m’a déclaré : « Elle m’a dit qu’elle allait me monter sur la tête, mais si elle me monte sur la tête, elle va redescendre mal. »
    Mathieu se troubla: il entendait pour la seconde fois tri te allusion au désir d’une enfant de dominer, «monter sur la tête» d’un colosse de plus de six pieds. Le sens commun échappait-il à ces gens?
    — A-t-il dit avec quoi il l’avait battue ?
    — Je ne lui ai pas demandé: je ne savais pas que ça virerait comme ça. Si je l’avais su, j’aurais parlé

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