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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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vague de grippe espagnole, aussi virulente que la première, avait prélevé une bonne récolte de vies.
    — Je vais un peu mieux, reconnut-elle en se relevant.
    En les englobant tous les deux du regard, Francœur expliqua :
    — Hier, au tribunal, j’ai eu quelques mauvaises surprises.
    Son regard s’arrêta sur l’homme, avant de préciser :
    — Quand cette femme a parlé de saloperies...
    — Je vous ai dit que je n’arrivais plus à la contrôler. Ils peuvent bien dire que je la battais trop fort, mais eux n’avaient pas à l’endurer.
    — Les saloperies...
    La femme s’agita sur sa chaise. L’avocat préférait ne pas voir son visage. Au fond, le voile porté le premier jour de l’audience l’avait soulagé. Ses traits un peu asymétriques et surtout, ses yeux qui sortaient de leurs orbites, lui donnaient un air étrange, comme celui d’un reptile. «Non, se corrigeai il, plutôt un crapaud. »
    — Elle chiait partout, confessa-t-elle d’une voix sourde.
    Cette déclaration le prit un peu par surprise.
    — Pardon ?
    — La petite fille, expliqua la belle-mère. Elle chiait partout. Dans le lit, sur le plancher, dans ses vêtements.
    — ... Elle était malade ?
    — Non, non, intervint le père. Juste une vicieuse.
    Francœur rassembla ses souvenirs de la dernière audience.
    — Vous auriez évoqué des vêtements gâchés devant cette femme.
    — Elle ne faisait pas seulement dans ses propres habits, indiqua la femme, mais aussi dans ceux de son père.
    Cette histoire devenait de plus en plus étrange. Le premier jour, accepter de défendre ces gens lui avait semblé tout à fait naturel. Après tout, il s’agissait d’électeurs fidèles.
    Les députés se mettaient au service de leurs commettants, et dans cette circonstance précise, en plus il serait payé pour le faire.
    — Que voulez-vous dire, exactement?
    — Bien, elle mettait de la merde dans ses vêtements.
    — Dans mon beau paletot neuf, s’insurgea l’homme avec véhémence.
    Francœur se demanda si, après ces incidents, il avait utilisé le fouet ou le manche de hache.
    — Elle a même fait dans son chapeau, comme si c’était un pot de chambre, précisa son épouse.
    Même si les melons convenaient à cet usage, le défenseur comprenait combien un affront de ce genre déclencherait les foudres de tous les hommes parmi ses connaissances.
    — Mais pourquoi diable faisait-elle des choses comme cela?

    — Je pense que c’est de ma faute, chuchota la femme.
    L’aveu paraissait si étonnant que son interlocuteur demeura bouche bée.
    — Elle ne m’aimait pas. Cela arrive souvent, quand une nouvelle femme entre dans une maison.

Les histoires de belles-mères hantaient les souvenirs de bien des personnes. Parfois, cela prenait une dimension horrible.
    — Je veux bien. Mais dans ce cas, tous ces affronts vous seraient destinés, pas à son père. Vous êtes l’intruse dans cette maison, pas lui.
    Elle se mordit la lèvre inférieure, incapable de répondre.
    Son avocat renonça à comprendre, pour l’instant.
    — Cette petite fille vous a donné d’autres motifs de la battre?
    Le couple échangea un regard.
    — Elle était paresseuse... commença le père.
    — Je ne veux pas entendre parler de la vaisselle. Ce n’est pas sérieux, ça.
    — Elle faisait des cochonneries.
    La belle-mère ne répugnait pas à se transformer en témoin à charge contre la victime. Le père affichait plus de réserve, un peu de gêne peut-être. Après tout, c’était sa propre fille.
    — Avec des garçons, spécifia-t-elle à voix basse. Des fois, elle disparaissait de la maison pour courir les champs. On ne la voyait que le lendemain.
    — Voyons, vous parlez d’une petite fille de dix ans.
    — Elle avait le diable au corps, je vous dis.
    Francœur perdait pied. Ces gens-là vivaient dans un monde étrange. Le père ajouta à voix basse, comme honteux d’admettre une réalité si sale :

    — Elle entraînait mon aînée dans son vice, à la fin.
    — Vous voulez dire Marie-Jeanne ?
    — Oui. Elle n’arrêtait pas de se glisser dans son lit. Elle utilisait même le bébé...
    Le cultivateur évoquait la plus jeune, née au mois de mai précédent. L’avocat leva la main pour le faire taire, pris d’une nausée soudaine.
    — Je suppose qu’elle ne faisait pas ces horreurs devant vous, murmura-t-il après une pause, lassé. Comment le savez-vous ?
    — Ses petits frères la rapportaient, expliqua Marie-Anne. Puis, j’ai vu

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