Mathieu et l'affaire Aurore
âgés de quarante-cinq ans en moyenne, abreuvés de bons principes par nos curés. Si un jour, j’aborde les excréments de la gamine ou son désir de coucher dans le lit de sa sœur, ce sera parce que je pense faire pencher cette douzaine d’hommes vers un verdict de culpabilité. Hier, j’ai craint de favoriser la libération des accusés.
— Vous avez raison, balbutia le stagiaire, un peu penaud.
La vraie nature d’un procès criminel lui sautait aux yeux.
Il s’agissait d’une joute où chacun des avocats cherchait les stratégies, les ruses même, pour l’emporter. Francœur recevait des
honoraires
pour
obtenir
un
acquittement.
Le
rôle de justicier de son employeur paraissait un peu plus noble à l’étudiant: il cherchait à punir les criminels au nom du roi... ou du peuple.
Ses réflexions le conduisaient à une conclusion troublante : un bon avocat de la défense permettait à des coupables de s’en tirer impunément...
et
un
bon
procureur
de
la Couronne devait aussi conduire des innocents à la prison, ou à la potence.
*****
Comme Mathieu consacrait de nombreux dimanches à Flavie, il lui arrivait de passer souper à la maison pendant la semaine. Ce petit changement à ses habitudes lui évitait de contempler Françoise et son fiancé Gérard, calés dans le canapé, en train de discuter du nombre d’enfants qu’ils souhaitaient avoir.
Ce jeudi soir, non seulement le valeureux employé de la Banque de Montréal ployait-il toujours sous son dur labeur au guichet des «comptes commerciaux», mais Françoise s’apprêtait à aller au cinéma avec sa cadette.
— Tu es certain de ne pas vouloir nous servir de chaperon?
demanda Amélie depuis la
porte du salon.
Papa
n’aime pas que deux jeunes filles parcourent toutes seules vingt verges de trottoir.
L’entrée du cinéma ne devait pas se trouver plus loin que cela du commerce de vêtements. Armée de son sourire attachant, la jolie blonde se permettait ce genre d’ironie sans autre risque qu’un froncement de sourcils de la part de l’auteur de ses jours.
— Me pavaner avec les deux plus belles filles de la Haute-Ville me ferait bien plaisir... mais comme ce serait pour une trop courte distance, autant terminer ce porto en discutant avec Paul et maman.
— Cela d’autant plus que tu te promènes déjà avec la plus jolie de la Basse-Ville. Décidément, tu ferais trop de jaloux.
Peu attirée par ce genre de badinage, Françoise ouvrait déjà la porte de l’appartement.
— Bonne soirée. Si je ne me presse pas, c’est seule que je franchirai ces vingt verges, finalement.
La jeune fille s’esquiva bien vite dans un frou-frou de jupons. Après le bruit du loquet dans la serrure, Paul Dubuc secoua la tête en murmurant :
— Si gentille et si légère. J’espère que cela ne lui vaudra pas du mal.
— Tu la crois vraiment légère ? demanda Marie depuis le canapé, levant les yeux d’un magazine.
— Tu l’as entendue, il y a un instant.
— Je l’entends toute la journée. Je ne parierais pas sur sa légèreté.
— Peut-être as-tu raison, consentit le père. Je l’admets, son comportement demeure plutôt prudent. Je pense que tu y es pour beaucoup dans cet heureux résultat. Tu fais une très bonne mère pour elle.
Marie le remercia d’un sourire, tout en précisant:
— Amélie a eu une excellente mère déjà, dont elle porte d’ailleurs le prénom. Si je m’entends bien avec elle, c’est que je m’en tiens au rôle d’une femme expérimentée auprès d’une autre qui ne l’est pas, avec une bonne dose d’affection sincère.
Mathieu s’amusait de la jolie scène conjugale, tout en se sentant un peu indiscret. Paul échangea un long regard avec sa compagne, puis décida d’aborder un sujet moins intime.
— Et cette horrible enquête ?
— La preuve accumulée devrait suffire à conduire le couple au procès. Du moins, je le souhaite de tout cœur.
Mais cette histoire me fait tout de même me questionner sur mon avenir.
Ces mots alertèrent tout de suite Marie. La question de la profession de son fils lui semblait réglée depuis des années.
— Ce genre d’affaire est rarissime, expliqua le député.
Moi-même, depuis mon examen du Barreau, je n’ai jamais été mêlé à quelque chose d’aussi scabreux.
— Je comprends. Mais tout de même, le droit criminel ne convient pas très bien à ma personnalité. Même l’histoire de ce pauvre type, à Lévis, me
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