Mathieu et l'affaire Aurore
tient essentiellement au rapport d’autopsie. Au mieux, nous aurons une accusation d’homicide involontaire.
Dans le contexte de cette affaire, cela signifiait le défaut d’apporter les soins appropriés à la victime. Cela n’allait pas chercher une sentence bien sévère.
— Mais ce rapport fait état de traitements épouvantables, commenta Mathieu.
— Sauf que nous ne sommes pas en mesure de relier hors de tout doute ces blessures à une action des accusés, expliqua Couture, un peu morose.
— De mon côté, ajouta le substitut, j’entends dire que Francœur cherche de toutes parts des médecins capables de soutenir que la maladie expliquerait l’état du cadavre.
— Seigneur!... souffla le jeune homme.
Une pareille éventualité déprimait le jeune étudiant.
— Bienvenue dans le monde du droit criminel.
Mathieu répondit par une grimace. Une démarche de ce genre lui paraissait trahir le droit de la victime à obtenir justice.
— Comme vous le savez, précisa Fitzpatrick, semer le doute dans l’esprit des jurés suffira. Ceux-là ne connaîtront rien à la médecine.
L’avocat s’interrompit, toujours perdu dans ses réflexions.
— Les quatre témoins entendus depuis hier, enchaîna-t-il bientôt, se sont révélés plutôt utiles à la défense. Gagnon paraît maintenant être un bon père de famille un peu dépassé par les vices de sa fille.
— Quand je les ai rencontrés, insista le détective, ils paraissaient tous outrés du comportement de leur voisin.
Mon rôle n’est pas de leur faire apprendre par cœur un récit susceptible de vous convenir parfaitement.
— Je ne vous demande pas cela, vous le savez.
L’autre se renfrogna. Son enquête ne progressait pas très bien.
— Vous ne pouvez être certain de la façon dont ils vont traduire leur propre récit, une fois arrivés dans notre auguste enceinte, admit le substitut du procureur. Ils changent de registre, je le comprends très bien.
Se faire un ennemi du policier ne ferait certainement pas avancer les choses. D’un autre côté, si celui-ci ne dénichait pas des témoins plus convaincants, l’enquête préliminaire risquait de se conclure sur la libération des suspects.
— Hier, insista-t-il encore, si Francœur avait poussé un peu plus loin le contre-interrogatoire d’Albertine Gagnon, Télesphore devenait presque la victime, dans cette affaire...
Quand elle a parlé de la charmante habitude d’Aurore de déféquer un peu partout, de préférence dans les vêtements de son père !
— Oui, je sais. J’en ai glissé un mot dans mon rapport...
Cela rend les corrections de son père presque acceptables.
Chaque fois que quelqu’un cherchait à justifier ces accès de violence, Mathieu frémissait de colère.
— Cela peut indiquer la maladie mentale, intervint-il.
On ne donne pas des coups de fouet à un malade pour le guérir.
— Evitez donc de visiter les asiles d’aliénés, grommela le policier. Cela briserait vos illusions.
La folie paraissait encore à beaucoup une punition divine ou pire, un vice. L’évocation des traitements dispensés à Saint-Michel-Archange confinait à l’enfer.
— J’ai préféré ne pas creuser la question, insista le procureur de la Couronne. À ce jour, Aurore ne semble avoir commis d’autres incartades que de refuser de faire la vaisselle. Si on en reste là, les corrections décrites paraîtront exagérées aux jurés. Nous devons convaincre Choquette d’envoyer ces deux-là à leur procès.
Mathieu intervint à haute voix malgré son embarras.
— Selon votre logique, Francœur de son côté aurait dû saisir l’occasion. Les péchés, ou les perversions d’une petite fille, rendent les brutalités du père acceptables. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait?
— Honnêtement, je m’interroge sur son silence. J’ai du mal à croire qu’il ignore ces informations. Les parents ont dû se justifier auprès de lui en parlant de merde dans les vêtements et du péché d’impureté. Ce sont des circonstances atténuantes.
— Cela n’atténue rien. Battre une enfant avec un manche de hache ! s’emporta Mathieu.
Le détective leva les yeux vers le ciel, un peu excédé d’entendre les états d’âme de cet amateur.
— Nous ne discutons pas ici de nos convictions respectives sur la
manière
d’élever
des
enfants,
précisa
l’avocat
de la Couronne, mais des arguments susceptibles de convaincre un jury composé de douze types ordinaires,
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