Mathieu et l'affaire Aurore
d’une enquête préliminaire, un avocat pouvait demander l’abandon des procédures à cause de l’insuffisance de la preuve. Francœur demeura assis, se contentant de secouer la tête. Il ne reviendrait même pas à la charge pour demander une libération dans l’attente du procès. Maintenant, cela paraîtrait ridicule.
— Dans ce cas, je rendrai ma décision sur les accusations à porter contre les deux accusés dans une semaine, le jeudi 18 mars.
Il regagna son bureau par une porte dérobée dans un bruissement de robe noire.
*****
La salle d’audience se vida très lentement. L’interdit de publication faisait trépigner les journalistes d’impatience.
Bientôt, l’équipe de l’accusation et le policier se trouvèrent seuls dans la salle.
— Couture, cette fois vous avez déniché un témoin redoutable. Je vous félicite.
— Plutôt un témoin qui a répété ici exactement la même chose que lors de mon interrogatoire.
L’homme jouait le modeste, mais les bons mots lui faisaient visiblement plaisir.
— La gamine en est venue droit au fait, et quand Larue s’en est mêlé, elle n’a pas perdu sa contenance. Cette fois, la défense a travaillé pour nous.
— Pourquoi Francœur préférait-il jouer au spectateur, aujourd’hui ? demanda le détective.
— ... Je me le demande, murmura Fitzpatrick après réflexion. Peut-être commence-t-il à comprendre que cette histoire l’éclaboussera un peu. Ou alors il a voulu donner à un jeune collègue l’occasion de se faire connaître.
Le substitut du procureur chercha alors dans les papiers étalés devant lui, trouva le compte rendu rédigé par Mathieu à son retour de Sainte-Philomène.
— Picard, reprit-il, vous avez aussi bien travaillé auprès de la petite Marie-Jeanne.
— Je n’ai aucun mérite particulier. Elle désirait se confier à quelqu’un.
— Elle nous cache encore des tas de choses, maugréa Lauréat Couture.
Le détective paraissait souffrir de ne pas avoir le mono-pole des compliments.
— Je sais, précisa Mathieu en le dévisageant. Elle a terriblement peur, cela se voit.
— Peur de qui ? interrogea Fitzpatrick. De ses grands-parents ?
— ... Je ne pense pas. Enfin, peut-être un peu, mais c’est autre chose.
La fin abrupte des révélations de la jeune fille, l’autre jour, le troublait encore. Elle avait été jusqu’au bout de son engagement, en remettant les pièces à conviction et en confirmant son récit au détective, mais sans aller plus loin dans les confidences.
— Remarquez,
reprit
Fitzpatrick,
maintenant
nous
sommes sûrs d’aller en procès avec une accusation de meurtre. Les assises criminelles commenceront début avril, cela nous laisse presque un mois. Inutile de lui forcer la main. Si elle reculait, la défense aurait ensuite des arguments imparables pour nous démolir.
— Elle semble disposée à témoigner au procès, voulut le rassurer Couture.
— Les témoins enfants, même à douze ans, demeurent une arme
à
double
tranchant.
Si
quelqu’un
soupçonne
une manœuvre douteuse du bureau du procureur général, ou de la Police provinciale dans cette histoire, nous ferons les gros titres des journaux pour de très mauvaises raisons.
Le substitut du procureur les dévisagea à tour de rôle, puis il conclut:
— Alors, nous procéderons avec prudence, tact et délicatesse avec les trois enfants Gagnon. C’est bien compris ?
Ses deux interlocuteurs acquiescèrent d’un signe de la tête. Une fois dans les journaux, cette histoire ferait ou déferait les réputations pour longtemps.
*****
Le 18 mars, les acteurs du drame revinrent au palais de justice afin de connaître la conclusion de l’enquête préliminaire.
Tous les sièges étaient occupés par des curieux, des personnes intéressées par le droit ou encore des journalistes.
Mathieu pensa faire intervenir un agent de la paix pour récupérer sa place. Ce fut peine perdue. Alors qu’une grosse dame protestait de toutes ses forces pour éviter de se faire évincer, Fitzpatrick arriva.
— Allez, fit-il en déposant son porte-documents sur la table, laissez cette dame tranquille et placez-vous à côté de moi, à la table.
— ... Je ne suis pas avocat.
— Vous voyez écrit « réservé aux avocats », vous ?
Le stagiaire choisit de considérer cela comme une promotion.
Un instant plus tard, l’équipe de la défense arriva à son tour.
— Maintenant, vous utilisez les services d’un
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