Mathilde - III
absolument un premier étage, qui ne fût surtout
pas sur ladite rue qu’elle jugeait trop bruyante.
Finalement, quinze jours plus tard, le Dr Jacob l’invita à venir
visiter un charmant deux-pièces meublé situé au premier étage, rue
de la Comète, à deux pas de son hôtel particulier.
– C’est charmant et parfait, jugea Mathilde en y pénétrant.
– Et le propriétaire, qui habite au troisième, vous fait un bon
prix. C’est un de mes patients fort âgé. Je lui rends visite
quasiment chaque jour de la semaine.
– Le lundi et le jeudi ? lui demanda Mathilde à
brûle-pourpoint.
– Entre autres, répondit-il étonné que Mathilde
s’intéressât à ce point à son exercice. Je m’y rends dès que j’ai
terminé mes consultations au cabinet, vers dix-sept heures.
Mathilde en fut transportée de ravissement. C’était trop beau.
Ce dont elle eut, hélas ! confirmation quasi
immédiatement.
– J’espère que vous vous arrêterez à mon étage pour prendre une
tasse de thé, proposa-t-elle au Dr Jacob.
– Oh ! je ne voudrais pas vous interrompre dans votre
travail et je ne sais si j’aurai le temps, lui répondit-il le
plus sincèrement du monde.
Mme de La Joyette eut alors conscience qu’elle allait devoir se
montrer plus explicite et user de tous ses charmes pour vaincre la
réserve de son pourtant soupirant qu’elle soupçonna un instant
d’être encore vierge.
Mais, avec toutes ces femmes en manque d’hommes à cause de la
guerre, il était impossible qu’aucune d’elles, soit une patiente,
soit une infirmière, ne lui ait sauté dessus alors qu’il était bel
homme et que même un cul-de-jatte trouvait preneuse.
À moins que ? songea horrifiée Mme de La Joyette. Une
mauvaise blessure…
Ou, pire, que la pratique de la médecine et la promiscuité avec
tant de corps de femmes l’eussent fait éprouver du dégoût pour la
gent féminine, ce qu’elle concevait d’ailleurs fort aisément car
cela ne devait pas être ragoûtant tous les jours pour une personne
aussi délicate que le Dr Jacob.
Mathilde regretta aussitôt de s’être laissée aller à cette
singulière idée. Tout homme délicat n’était pas nécessairement un
inverti. Preuve en était la virilité du comte de la Fallois qui
était attestée par son amie Marie-Thérèse de Bonnefeuille,
quoiqu’on eût pu penser le contraire en le jugeant sur sa seule
apparence.
Rejetant d’un haussement d’épaules toutes ces idées, Mme de La
Joyette se fit fort d’en avoir rapidement le cœur net. En attendant
ce moment, elle s’occupa l’esprit en dressant la liste des
fournitures qui lui semblaient nécessaires à sa nouvelle activité
et elle alla les choisir elle-même dans une papeterie de l’avenue
de La Motte-Picquet : un sous-main en cuir de Russie et son
buvard qu’elle choisit bleu, un stylo plume et deux encriers, un
lot de crayons à mine avec leur taille-crayons, trois carnets
reliés pleine peau pour noter ses pensées intimes, cinq cahiers et
un dictionnaire. Elle fit également l’inventaire du linge de
maison, de la vaisselle et accessoires de toilette dont elle aurait
besoin.
Le lundi 26 février, Mathilde put enfin prendre possession de
son « bureau », se faisant accompagner en début
d’après-midi de ses deux domestiques Louison et Jeannette pour
faire un « grand ménage », la cuisinière étant chargée,
elle, de transporter, avec l’aide de la gouvernante de ses filles,
les malles d’osier contenant le linge et la vaisselle. Ce qui leur
prit à toutes deux quatre aller et retour entre l’hôtel et le
« bureau », la grosse Marie suant à grosses gouttes et ne
cessant de pester contre la nouvelle marotte de Madame qui leur
occasionnait déjà un surcroît de travail, ce qui indignait
Marinette Breton qui était emplie d’admiration envers Mme de La
Joyette qui « osait » devenir femme de lettres.
– C’est bien une idée de gens qui ont rien à faire !
soupira une énième fois la cuisinière à leur dernier voyage en
arrivant au bas de l’immeuble.
– Tu ne sais pas ce que tu dis, Marie, se décida de la tancer la
jeune fille. Les livres, ça donne des rêves, ça instruit, ça…
– C’est bien ce que je dis, la coupa la brave Marie. Faut pas
avoir à faire du matin au soir.
– Mais tout le monde a besoin de rêver, de s’évader…
Marinette se tut en apercevant le Dr Jacob venant en sens opposé
un bouquet de fleurs à la main.
– Où c’est
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