Mathilde - III
et il y eut grand tumulte sur
les Boulevards.
Son meurtrier était une jeune femme âgée d’à peine vingt ans,
Germaine Berton, une fille publique selon les partisans de l’Action
française, en fait une militante adhérente du groupe des
anarchistes individualistes de la rue du Château dans le
XIV e arrondissement qui avait choisi d’abattre à coups
de revolver l’un des chefs de l’Action française. Ayant tenté en
vain de rencontrer Léon Daudet et Charles Maurras, son second choix
s’était porté sur Marius Plateau qui était donc mort, en quelque
sorte, par hasard.
Le jour de ses obsèques, une foule considérable de Parisiens se
massèrent autour de l’église de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou où se
déroulèrent ses obsèques.
Le Dr Jacob, lecteur de
L’Œuvre,
n’y assista évidemment
pas et Mme de La Joyette lui en fit reproche, mais elle-même n’y
assista qu’à contrecœur tant elle détestait les mouvements de
foule. Mais, la plupart de ses relations y assistant et les
obsèques se déroulant en sa paroisse, elle se devait d’y être
présente, ne se doutant pas que cela la mettrait au supplice
lorsqu’elle découvrit parmi l’assistance des premiers bancs le
baron Duplay flanqué de son Marius Paupoil.
Son sang ne fit alors qu’un tour et, si elle avait été armée,
elle les eût abattus tous deux séance tenante. Mais sa déception
fut encore plus grande lorsque le comte de la Fallois feignit de ne
pas avoir remarqué leur présence.
– Vous êtes sûre ? eut-il l’audace de lui dire bien que
Marie-Thérèse de Bonnefeuille en fût également témoin.
– Qu’attendez-vous donc pour provoquer le baron en duel ?
lui jeta-t-elle provocante.
– Pas un jour de deuil, ma chère, ce ne serait pas convenable.
Une autre fois lorsque l’occasion s’en présentera, répondit
l’outrecuidant d’un ton dégagé.
– C’est-à-dire quand des poules auront des dents, persifla la
marquise de Bonnfeuille.
Mathilde n’avait pas décoléré depuis l’horrible situation dans
laquelle l’avait mise Mme de Saint-Chou après avoir déboulé chez
elle avec ses « Marius est mort » au lieu d’annoncer tout
bonnement celle de Marius Plateau. Jamais, après s’être évanouie de
frayeur, elle ne s’était sentie aussi stupide de toute sa vie. Et
dire qu’elle s’était alarmée pour ce poltron doublé d’un
pleutre.
Certes, Mathilde avait préféré que le comte de la Fallois n’eût
point commis de crime, mais son attitude présente le lui faisait
regretter. Au moins eût-il mérité son estime et plus peut-être.
« Quelle sotte je fais ! » se dit-elle
in
petto
en songeant qu’à cause de lui elle s’était querellée
avec Sarah Dufort à son retour d’Allemagne.
– Figurez-vous, lui avait-elle dit, que le comte connaissait ce
Marius Plateau, qu’il lui arrivait même de déjeuner en sa compagnie
et celle de Daudet – le « gros Léon », comme ils le
surnomment –, de Charles Maurras et de Real del Sarte, et que je
n’en savais rien !
– La fine crème de l’odieux, en sorte, lui avait répondu Miss
Sarah, après s’être étonnée que Fallois fréquentât une telle
engeance.
– Vous n’avez pas à juger les amis de mes amis ! lui
avait-elle rétorqué, tranchante, reconnut-elle elle-même car
Mathilde était fort lucide sur sa personne. Qu’aurais-je sinon à
vous dire de votre Sacco et de votre Vanzetti dont vous me rebattez
les oreilles parce qu’ils ont été condamnés à mort !
– Ils sont innocents.
– Qu’en savez-vous ? Et peut-être allez-vous me soutenir
que cette Germaine Berton l’est également ?
– Je réprouve ce crime, lui avait répliqué l’Américaine sans se
départir de son calme. Il eût mieux fallu qu’elle abattît ce gros
Léon ou Maurras.
– L’apologie du crime anarchiste sous mon propre toit !
s’était-elle récriée en levant les bras au ciel. J’aurai vraiment
tout entendu !
– Et votre Charlotte Corday ? lui avait lancé Miss Sarah ne
voulant céder.
– Ce n’est pas comparable. En poignardant Marat, elle a
débarrassé la France d’un buveur de sang
– Alors disons que cette pauvre Berton s’est trompée de cible et
que, si elle était parvenue à abattre Maurras ou Daudet, elle eût
débarrassé la France d’oiseaux de bien mauvais augure.
– Vous êtes ignoble, Sarah !
Mme de La Joyette avait regretté ses propos, du moins cette
dernière saillie qui avait grandement
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