Mathilde - III
pas question. Je
regrette, ma cousine, mais une annonce officielle est une annonce
solennelle. Il n’y a pas de raison pour que je…
– Oh ! Marcellin, pas de ça avec moi ! gronda sa
cousine en se dirigeant vers lui. Je ne vous connais que trop.
– Héloïse Lameur, c’est Héloïse Lameur ! jeta
précipitamment le préfet en battant en retraite devant sa
cousine.
Malheureusement, dans son recul aveugle, Marcellin Mafouin vint
à buter contre la cheville souffrante du baron Stern qui cria de
douleur et se fit piétiner le pied lorsque Mme Dulong eut acculer
le préfet contre le sofa, redoublant alors de cris au milieu des
sanglots de la pauvre Mireille Dupuis qui avait enfin compris la
trahison de son amant intermittent, le seul homme qui apportait de
temps à autre un peu de bonheur dans sa triste vie.
Quant à la comtesse de La Joyette, abasourdie d’une telle
révélation, elle s’était laissée choir dans le premier fauteuil qui
lui avait ouvert les bras. Son Héloïse, sa chère Héloïse, allait
épouser un tel homme et elle ne pouvait parvenir à le concevoir. À
quelle extrémité avait-elle été conduite par la vie pour qu’il en
fût ainsi ! Cela correspondait si peu à ses rêves de jeune
fille, se dit-elle sans percevoir que la cause pouvait en être,
encore et toujours, la terrible saignée d’hommes prélevée par la
guerre.
Peu à peu, les choses cessèrent de s’agiter autour d’elle.
– Ce n’est pas encore faire ! s’était écriée Léonie Dulong
en poussant dehors son cousin d’une main et tirant de l’autre
Mireille Dupuis qui reniflait ses larmes.
– Et moi, qu’est-ce que je deviens ! s’était alors exclamée
Germaine Choissou.
– Ne vous inquiétez pas, Germaine, avait-elle entendu son père
répondre en clopinant. Je vais vous raccompagner avec mon
automobile.
– Mais pouvez-vous conduire ainsi ? s’était inquiétée Mme
Choissou.
– Mon chauffeur conduira, Germaine.
– Ah ! alors…
Mathilde ne réagit même pas. Comme elle ne le fit pas non plus
lorsque le capitaine Markov revint seul de la ville et lui annonça
que Monsieur lui avait demandé d’aller le prendre en fin de
matinée.
Et que pouvait-elle dire lorsqu’il se présenta, le lendemain
donc, au déjeuner du 22 août accompagnée de Germaine
Choissou ?
– Vous comprenez, mon enfant, se contenta-t-il de dire en guise
de justification, je ne pouvais laisser seule notre amie.
– Bien sûr, père, se surprit-elle à répondre.
« Suis-je résignée, se demanda-t-elle, ou doit-on accepter,
parfois, que les événements nous dépassassent ? »
Elle ne sut que répondre et s’habitua aux aller-retour de son
père et à la présence intermittente aux repas de Germaine
Choissou.
Quelle différence, en effet, y avait-il entre le fait que son
père, le baron Paul Stern de Villiers, couchât avec une domestique
ou avec une veuve de capitaine, fille d’épiciers, puisque, dans les
deux cas, il ne s’agissait en aucune façon de légitimer de telles
unions ? Quoique les domestiques ne prissent pas leurs repas à
la table de leurs maîtres d’ordinaire.
Mme Choissou participa donc au repas d’anniversaire donné le
dimanche 25 août pour fêter l’anniversaire de Pierre qui avait eu
dix ans le 23. Mais il y eut une présence plus surprenante, celle
de la vieille Épiphanie, la « sorcière » locale, figure
aussi indispensable que celle du curé, de l’instituteur, du maire
et du facteur ou du garde champêtre dans toute commune
berrichonne.
Le matin même, elle s’était présentée avec sa biquette Émilie à
l’entrée du manoir et avait demandé à « causer à la
Mathilde ».
– J’vas voir, lui avait répondu prudemment Toinette, la
gouvernante des lieux, qui avait plus souvent recours à
l’Épiphanie, jugeant ses remèdes ancestraux nettement plus
efficaces que les prescriptions de la Faculté.
– Faites-la entrer, voyons, répondit Mme de La Joyette qui avait
à cœur de recevoir ses gens lorsque ces derniers lui en
faisaient la demande, mais néanmoins fort imprudemment car
Épiphanie ne se séparait jamais de sa biquette qui était en quelque
sorte la réincarnation caprine de son petit-fils Émile fusillé pour
l’exemple.
Devant le brusque haut-le-corps de Mme de La Joyette, Épiphanie
se contenta de resserrer la corde d’Émilie.
– Que puis-je pour vous ? demanda Mathilde en surveillant
la chèvre qui lorgnait vers un coussin de soie.
–
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