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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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Europe. Une opinion qui n’admet pas le grand renversement d’alliance, pousse le roi en faveur des « insurgents », se scandalise de sa pusillanimité face au partage de la Pologne.
    Enfermés dans leur prison dorée de Versailles, Louis XV et ses ministres ne comprennent pas cette évolution. Louis XV ou le roi maudit. Ce monarque dépressif et libertin, lascif mais qui refusait de communier par honte de ses péchés, pacifiste mais qui accumula les guerres, que les historiens républicains haïrent (« le plus mauvais roi de l’histoire de France », disait Albert Sorel), dépeignirent en roi fainéant, était sorti de sa léthargie pour une manœuvre florentine : le fameux « secret du roi », qui, à grands coups d’espions romanesques et de correspondances codées, prenait à revers la politique officielle d’alliance avec les Habsbourg, en renouant discrètement avec la Prusse, et s’instaurant en protecteur d’une Pologne que ses élites aristocratiques futiles et versatiles menaient à la ruine.
    N’est pas Mazarin qui veut. La « combinazione » trop subtile du Bien-Aimé se perdit lamentablement dans le premier partage de la Pologne de 1772. La Russie, la Prusse et l’Autriche se goinfrèrent. L’impératrice autrichienne Marie-Thérèse fit mine de tergiverser, de pleurer sur le sort de cette pauvre Pologne, très catholique comme elle, mais ne put laisser l’avantage à son grand rival du Nord : « Marie-Thérèse pleure, mais elle prend », se gaussa le toujours sarcastique, voltairien, misogyne Frédéric II. Le XVIII e siècle vit les commencements de cette rivalité inexpiable entre la Prusse et l’Autriche pour la domination de l’Allemagne, qui s’achèvera à Sadowa en 1866, par la déroute de l’Autriche. En attendant cette ultime explication, les deux adversaires s’efforcèrent de grossir le plus possible. La maison de Habsbourg avait quelques siècles d’avance, mais cette « ambitieuse maison » de Hohenzollern, comme dirait avec méfiance Talleyrand, finirait par la réduire à l’état humiliant de fidèle second.
    Et puis, il y avait la Russie. Depuis 1770, assurée de ses arrières asiatiques, elle intervenait de plus en plus dans les affaires européennes. Invasion de la Crimée en 1783, de la Bessarabie ensuite, contrôle partiel de la Moldavie et de la Valachie, dépeçage de la Pologne, annexion de la Géorgie, et même installation à Corfou et sur l’Adriatique. Du bel ouvrage. Pierre le Grand aurait été fier de Catherine II, qui double le territoire russe pendant son règne. Les Russes attaquèrent par le nord un Empire ottoman moribond, que les Anglais menaçaient par l’Inde et la Méditerranée. Pour l’instant, les deux futurs protagonistes du « grand jeu » du XIX e siècle demeuraient des alliés au moins objectifs.
    L’Amérique enfin n’était encore rien : treize États unis dans une fédération fragile ; deux millions d’habitants ; mais un mythe, déjà : la liberté. Et un potentiel. Immense. Les rares visiteurs européens le pressentent. À son retour des États-Unis, où il partit se protéger des fureurs de la Terreur, Talleyrand prophétisait : « L’Amérique s’accroît chaque jour. Elle deviendra un pouvoir colossal, et un moment doit arriver où, placée vis-à-vis de l’Europe en communication plus facile par le moyen de nouvelles découvertes, elle désirera dire son mot dans nos affaires et y mettre la main… Le jour où l’Amérique posera son pied en Europe, la paix et la sécurité en seront bannies pour longtemps. »
    Les Américains donneront raison en tous points au Diable boiteux. Ils extermineront les Indiens pour prendre possession de leurs terres ; rachèteront la Louisiane à Napoléon ; puis ils attaqueront une puissance coloniale déclinante, l’Espagne, pour lui arracher ses territoires les plus riches : Californie, Floride. À l’époque, ce n’est encore qu’un pays agricole. Avec l’arrivée des immigrants allemands à la fin du XIX e siècle, il deviendra la grande puissance industrielle qui aura alors les moyens de venir faire la loi en Europe. À l’Europe.
    La France se vivait encore comme un géant qu’elle n’était déjà plus. Elle avait perdu la bataille de la mondialisation en 1763 ; elle était potentiellement marginalisée en Europe. Le 15 avril 1788, deux traités d’alliance, l’un anglo-hollandais, l’autre hollando-prussien, complétés le 13 août par un accord défensif

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