Mélancolie française
flamand. Bruxelles fut à l’origine une bourgade flamande qui subit le traditionnel processus de francisation. Le fameux « accent belge » tant brocardé par les comiques français est en réalité un accent bruxellois, la marque de l’accent flamand originel de populations passées peu à peu au français, à l’instar des Alsaciens ou des Provençaux. Longtemps un dicton wallon se moqua : « Le flamand n’est pas une langue, c’est une maladie de gorge. » La bourgeoisie flamande partageait ce mépris.
La bourgeoisie belge était francophone mais pas forcément francophile. La querelle linguistique provint avant tout des contradictions d’une bourgeoisie flamande qui parlait le français, mais voulait se distinguer de la France pour affirmer le « fait national belge ». La haine du peuple flamand fut d’abord une révolte de classe contre la bourgeoisie flamande francophone – les fransquillons ; elle forgea le « frontisme », le premier mouvement nationaliste flamand de la fin du XIX e siècle. Jusqu’au début du XX e siècle, dans les écoles flamandes, les enfants étaient punis s’ils ne parlaient pas le français dans la cour de récréation, comme les petits Bretons ou Picards. Sous le titre provocateur : « Faut-il bégayer par amour du bègue ? », Le Soir – journal libéral – prophétisait en 1907 : « Quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse, les Flamands… parleront tous un jour le français, c’est inévitable. »
Il faudra un siècle pour qu’une identité flamande se constitue ; le français s’imposait au XIX e siècle avec d’autant plus d’aisance que le flamand ne parvint jamais à devenir une langue unique ; le néerlandais, longtemps repoussé comme langue de l’oppresseur hollandais, fît office de rassembleur par dépit. Lorsqu’un reportage télévisé invite aujourd’hui encore un anonyme flamand à s’exprimer, on inscrit en sous-titres la traduction en néerlandais, car, dans le village voisin, où l’on parle un autre dialecte, son accent particulier rend incompréhensibles ses propos.
La Wallonie s’unifia plus rapidement derrière le français ; mais on s’est longtemps mal compris entre Carolorégiens (Charleroi), Namurois, Liégeois et Arlonnais.
Au XIX e siècle, les bourgeoisies wallonne, mais surtout bruxelloise et flamande, furent les soutiens solides de l’État unitaire belge, en dépit des coups portés par la paysannerie « flamingante », favorisée par l’avènement du suffrage universel. Le bas clergé, dans les campagnes flamandes, soutint une longue résistance contre le français : « langue de l’irréligion des Lumières » mais aussi contre le néerlandais : « langue de l’hérésie protestante ». Acculé à choisir, il opta pour le moindre mal hollandais.
La Flandre est un sous-produit de la Belgique. Avant, elle était divisée entre Anvers, Gand, etc. Elle a fini par se constituer en nation alors que la Belgique n’y parvint jamais. Née et grandie en son sein, elle a fini par la dominer, en profitant des aides économiques généreusement distribuées dans les années 1950 et 1960. L’État belge, pour des raisons démographiques et donc électorales, confia les ministères économiques à des politiciens flamands. Depuis la fin du XIX e siècle, le budget des Travaux publics profita essentiellement à la Flandre, qui combla ainsi son retard sur sa voisine septentrionale. Pendant longtemps, les nationalistes flamands hésitèrent entre la domination flamande au sein de l’ensemble belge – permise par leur prééminence démographique – et la scission. Cette indécision flamande fut à l’origine de la crise séculaire. Pendant les deux guerres mondiales, les militants flamingants profitèrent de l’avancée allemande pour dominer leurs voisins wallons honnis. Les prisonniers flamands furent très vite libérés par Hitler tandis que les Wallons attendirent la fin de la guerre. En 1945, les Flamands défendirent farouchement le roi Léopold III accusé par les Wallons de collaboration avec les nazis.
La même année, lors d’un congrès wallon qui rassembla plus d’un millier de décideurs de la région, députés, sénateurs, maires, syndicalistes, intellectuels, une majorité relative (486 mandataires sur 1046) affirma sa volonté de revenir dans le giron français. Alors, le président du congrès Wallon demanda aux participants de se montrer « réalistes ». Lors d’un second vote, le fédéralisme
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