Mélancolie française
Belgique, puisqu’elle ne comprend plus rien. Et puis, les dames belges feraient connaissance avec les Turcos, qui ne sont pas difficiles. La Belgique est un bâton merdeux : c’est là surtout ce qui crée son inviolabilité. Ne touchez pas à la Belgique ! » À l’époque, Baudelaire parle de l’annexion de toute la Belgique, ce qui donne une idée du recul de la puissance française.
Le 15 août 1912, Jules Destrée, député et futur ministre belge, lui donnera raison. Les tensions linguistiques n’avaient jamais cessé. Depuis 1873, les Flamands avaient obtenu la première loi reconnaissant leur droit à être jugés en flamand. Ils ne seraient jamais rassasiés. Destrée publiait alors une Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre adressée à Albert I er : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité. Vous régnez sur deux peuples. En Belgique, il y a des Wallons et des Flamands. Sire, il n’y a pas de Belges. J’entends par là que la Belgique est un État politique assez artificiellement composé, mais qu’il n’est pas une nationalité. La fusion des Wallons et des Flamands n’est pas possible. »
En 1830, Talleyrand avait écarté un fils de Louis-Philippe comme roi des Belges. Les Anglais n’en voulaient à aucun prix. Ils en pinçaient pour un Allemand : Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha. Il présentait le triple avantage d’avoir combattu Napoléon dans l’armée russe, d’être d’origine allemande, mais aussi l’oncle de la reine Victoria. Il épouserait une fille de Louis-Philippe ; mais les journaux républicains, en France, le surnommèrent « le Préfet anglais ». D’instinct, et d’expérience, les milieux républicains soupçonnèrent Talleyrand d’avoir été payé en or anglais.
À l’époque, la presse républicaine rejeta avec lyrisme les accords de Londres : « La Belgique ! Était-ce une conquête, un caprice d’un jour ? C’est l’ambition légitime des siècles ; c’est notre bassin creusé par la nation ; ce sont nos places armées de nos mains, élevées avec notre or, et arrosées de notre sang ; la Belgique, c’est la lutte de 1 400 ans. »
Talleyrand les surnommait « les fous furieux ». Au-delà des célèbres « douceurs », il voulait préserver la paix, à tout prix, même à celui de la domination française sur l’Europe.
Talleyrand accepta la neutralité de la Belgique, imposée par les Anglais. Les données de 1815 n’avaient pas changé. Talleyrand, nous raconte son biographe Emmanuel de Waresquiel, « combattra comme un lion » pour « obtenir une amélioration de sa frontière avec la Belgique après la rétrocession des places et des districts qui lui ont été arrachés après la défaite de Waterloo ». En vain. Les Anglais ne céderont pas et, le 20 janvier 1831, « ne trouveront pas d’autre moyen que de le faire céder par la faim en le retenant plus de huit heures en conférence, jusqu’à ce qu’il signe…»
Talleyrand et son monarque préféré furent contraints de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils n’avaient pas le choix. Les deux hommes se donnèrent l’illusion consolatrice de choisir leur destin. « Louis-Philippe et Talleyrand sont tous deux attentifs, fidèles, dans une certaine mesure, à la grande tradition diplomatique héritée de l’ancienne monarchie. L’un et l’autre savent parfaitement que Louis XV a déjà renoncé à la Belgique au traité d’Aix-la-Chapelle en 1748, et que Mazarin a fait de même un siècle plus tôt. Lorsqu’il voudra féliciter son ambassadeur de ses succès à Londres, Louis-Philippe le comparera au comte d’Avaux, le négociateur français du traité de Westphalie [toujours lui !] en 1648 » (Waresquiel).
Talleyrand ne perdit pas sur toute la ligne. Les forteresses que l’Angleterre avait édifiées en dépit des objurgations françaises « sombreront, parce que personne ne les réparera… Dans les mains du roi des Pays-Bas, occupées par les puissances de la Sainte Alliance, elles étaient une machine de guerre contre la France. Dans celles du roi des Belges, à la tête d’un pays ami, neutre et pacifique, elles sont sans objet. Dépourvues de garnisons, sans artillerie, elles s’écrouleront toutes seules ».
Les « barrières » devinrent ruines, mais la Belgique demeura. Comme si, à la chute du mur de Berlin, la RDA avait survécu en l’état, ce qu’avait d’ailleurs envisagé à un moment donné Helmut
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