Mélancolie française
Kohl lui-même.
On connaît surtout l’histoire de la Belgique racontée par les Flamands. Les humiliations subies de la part des Wallons riches et méprisants. Les morts par vagues de soldats flamands dans les tranchées de 1914, faute d’avoir compris les ordres donnés par leurs officiers en français. La renaissance flamande après la Seconde Guerre mondiale, et l’effondrement de l’économie wallonne ruinée par la disparition du charbon et la crise sidérurgique. Une histoire d’abord linguistique, mais tronquée. Réécrite, falsifiée.
Le français ne s’est jamais arrêté aux frontières actuelles des deux régions. On parlait français dans toutes les villes de Belgique, y compris celles de Flandre. La bourgeoisie de ces contrées parlait français comme aujourd’hui elle speaks english. La classe moyenne l’imitait ; le français était la langue de la promotion sociale, de la modernité, de l’émancipation. En Wallonie même, Liège apparut longtemps comme un îlot de français au milieu d’une terre vouée à des dialectes divers. La langue française n’était pas plus la langue maternelle du paysan wallon que celle de son voisin flamand ; pas davantage celle du Breton ou de l’Alsacien. Le français toujours et partout fut, d’abord, la langue des élites, de la bourgeoisie, imitée ensuite par toutes les classes sociales.
Il existe bien en Belgique une frontière linguistique entre une langue d’oil, et ses dialectes romans, et une langue de « thiois » (du flamand diets qui signifie « peuple », d’où dutch en anglais pour « hollandais ») et ses innombrables dialectes germaniques ; mais la France avait déjà effacé une frontière linguistique entre langue d’oil et langue d’oc. Elle pouvait aisément accomplir une tâche similaire en Belgique. On oublie toujours les dialectes rhénans et luxembourgeois. La trace linguistique de notre chère rive gauche du Rhin.
Si la Belgique était restée dans l’ensemble français, la question de la langue flamande ne se poserait pas davantage que celle du breton ou du provençal. C’est la même population de Lille à Gand. La Gallia Belgica était une des Gaules de Jules César. Dès le Moyen Âge, les liens commerciaux de la France avec Bruges ou Gand imposaient le français. L’administration bourguignonne de Charles le Téméraire l’implantait à Bruxelles. À Liège, le statut des corporations était rédigé en français depuis le XIII e siècle. À Roubaix ou à Valenciennes, on parlait le même dialecte picard qu’à Mouscron ou à Tournai.
Les comtés de Hainaut et de Namur et le Brabant (francophones) étaient alors vassaux de l’empire germanique, tandis que la Flandre, de langue thioise, l’était du roi de France. C’est pour cette raison que les communiers flamands, associés à des paysans venus de terres « wallonnes », se révoltèrent contre Philippe le Bel et vainquirent la chevalerie française lors de la fameuse bataille des Éperons d’or, le 11 juillet 1302, dont la date est devenue la « fête nationale » flamande.
Alors que Louis XVIII fuyait Napoléon pendant les Cent-Jours, il se réfugia à Gand, en passant par Ostende et Bruges. Des villes de la Flandre maritime où il fut partout acclamé aux cris de : « Vive Louis le Désiré ! » En français.
Napoléon avait fait d’Anvers un grand port international ; il s’était battu et avait perdu son empire en partie pour cette ville aujourd’hui de Flandre.
La Constitution de 1830 fondant la monarchie constitutionnelle belge fut rédigée dans un français limpide et élégant digne de celui du XVIII e siècle ; mais la langue française ne fut pas imposée comme langue officielle. La monarchie belge n’entreprit pas un travail de francisation des campagnes. L’histoire du soldat flamand de la guerre de 1914 mort parce qu’il n’avait pas compris les ordres donnés en français par des officiers wallons, méprisants et arrogants, est un mythe littéraire inventé par Reimond Sanders dans son roman publié en 1927 : Aan de Vlaamschen Yser. De nombreux soldats wallons ne comprenaient pas non plus les ordres de leurs officiers ; pas davantage que les « pioupious » bretons – morts en très grand nombre – ou corses.
La Flandre a toujours été influencée par la culture française. Ses plus grands écrivains écrivirent en français : Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Charles De Coster, Marie Gevers… Jacques Brel était
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